Histoire – Baimbridge et Fouillole dans la tourmente révolutionnaire de 1802

 Dossier Laméca

1802
La rébellion en Guadeloupe

HISTOIRE
BAIMBRIDGE ET FOUILLOLE DANS LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE DE 1802

 

Matouba, Fort Saint Charles, Dolé, Palmiste, Baimbridge… sont autant de sites de la Guadeloupe dont l’Histoire a inscrit le nom à tout jamais parmi les grandes brûlures du passé de ce pays, eu égard aux épisodes sanglants qui s’y sont déroulés en mai 1802. C’était lors de la guerre de la Guadeloupe, comme l’a lui-même définie le Général Antoine Richepance dans le rapport qu’il adresse au Ministre de la Marine et des Colonies du Premier Consul Bonaparte, le 29 mai 1802.

Mais la mémoire collective a désormais occulté l’intensité de la répression menée alors en d’autres lieux dont le nom s’inscrit tout autant en lettres de sang : Le Morne Constantin, la Batterie Républicaine, la Place de la Victoire et, enfin, la plage de Fouillole ont payé le prix fort en termes de victimes de ce général en chef dépêché par le Consulat pour soumettre cette colonie en rébellion contre son autorité.

Cette guerre qui a duré 18 jours a pris fin le 28 mai 1802, avec l’explosion de l’Habitation Danglemont où Louis Delgrès et 500 de ses compagnons ont fait le choix historique de se sacrifier au cri de « Vivre libre ou mourir ». Et ce, afin que la postérité se souvienne de l’épilogue de leur combat pour la Liberté (Et toi, postérité, accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits). Sa détermination, déjà affirmée dans sa Proclamation du 10 mai, est réitérée dans le dernier message qu’il nous ait légué, le 15 mai :

Nous ne levons point contre la mère patrie une main téméraire : mais elle nous oblige aujourd’hui à méconnaître ses droits, ou plutôt ses interprètes qui, avec peu de respect, oublient ses nobles principes en agissant arbitrairement… La paix paraîtra de suite par l’embarquement des troupes qui sont maintenant à alimenter la guerre civile en ces florissantes contrées. Ou plutôt, elles régneront sur les cendres et sous les ronces dégoutantes de notre sang. (1)

Face à cette détermination, le communiqué de victoire de Richepance, rédigé à l’issue des combats, nous aide à comprendre l’acuité du contentieux opposant ces différents protagonistes.  Il feint, pourtant, de déplorer la fin tragique de ceux qu’il qualifie de rebelles :

Depuis longtemps, citoyens, nous avions prévu les suites funestes de la désobéissance à l’autorité légitime ; nous n’avons cessé de prémunir les esprits égarés par quelques ambitieux sans raison comme sans talents, contre les maux que devaient leur causer un système de rébellion et de résistance au Gouvernement… C’est en gémissant que nous voyons, dans les succès complets de l’armée, un nombre de victimes qui auraient pu, en suivant nos salutaires avis, jouir d’une existence heureuse… La mort des meneurs principaux de ces bandes révoltées ôte plus que jamais tout espoir et toute ressource aux rebelles. (2)

A la source de tous ces événements, le putsch du 29 vendémiaire (21 octobre 1801) mené par des officiers de couleur dirigés par Joseph Ignace. Il aboutit à l’expulsion de la colonie du Capitaine général Lacrosse nommé à la tête de la Guadeloupe par Bonaparte afin d’y annihiler les acquis de l’ère révolutionnaire. Un Gouvernement provisoire dirigé par Magloire Pélage est instauré qui manifeste son attachement à l’autorité Consulaire. Mais Lacrosse, réfugié à la Dominique, parvient à convaincre Bonaparte que la Guadeloupe est aux mains de rebelles hostiles à son pouvoir. D’où l’expédition punitive de 3550 hommes dirigés par Richepance qui arrive en Guadeloupe le 6 mai 1802.

La soumission de Pélage, en dépit des humiliations qui lui sont imposées et les premières exactions commises à Pointe à Pitre engendrent la suspicion et la crainte d’un rétablissement imminent de l’esclavage aboli en 1794. Dès lors, le combat prend une autre dimension. Ignace, à la tête d’environ 200 soldats, s’enfuit vers Basse-Terre où il parvient à convaincre le Commandant Delgrès de prendre la tête de la rébellion. D’où la teneur de la Proclamation que cette dernière affiche sur les murs de Basse-Terre, le 10 mai et intitulée « Le dernier cri de l’innocence et du désespoir » :

… Tout nous annonce qu’il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage… Cependant, je préfère mille fois la mort à l’esclavage et c’est aussi les vœux de tous mes compatriotes … (3)

En dirigeant les canons du Fort contre les navires de Richepance, Delgrès déclenche donc ce 10 mai la guerre de la Guadeloupe. L’essentiel des combats se déroule sur les mornes du Sud Basse-Terre avec une résistance inouïe des rebelles mais, à partir du 18 mai, Richepance qui a reçu des Anglais de la Dominique canons et mortiers, pilonne le Fort qu’ils évacuent dans la nuit du 22 au 23 mai. Afin d’obliger l’ennemi à diviser ses forces, Delgrès se fortifie dans les montagnes du Matouba tandis qu’Ignace mène une guerre de diversion pour aller chercher des renforts en Grande Terre. Mais alors qu’il y a recruté un millier hommes, ils sont encerclés le 25 mai dans la Redoute de Baimbridge par les troupes de Pélage et du Général Gobert qui les poursuivent depuis la sortie du Fort.  Selon Lacour, Ignace aurait auparavant fait circuler la proclamation suivante qui accroît la panique à Pointe à Pitre où femmes et enfants sont envoyés sur les navires en rade :

Habitants de la Guadeloupe,
Je vous somme de vous réunir à moi pour renvoyer les brigands de Français qui sont venus troubler votre repos et votre tranquillité. Si, dans vingt-quatre heures, vous n’avez pas exécuté cet ordre, vos villes et vos campagnes seront en cendres.
Ignace (4)

Nous ne pouvons comprendre l’épilogue de Fouillole qu’à la lueur de cet épisode de la bataille de Baimbridge. Il nous est décrit par deux des principaux généraux de Richepance, le général Ménard et le général Gobert.

Ménard apporte les précisions suivantes :

Ignace, accompagné d’environ 1000 hommes bien armés, passait la Rivière Salée à la hauteur de la Petite Rivière dans le dessein de s’emparer du fort Bimbritge et de mettre le feu ensuite à Pointe à Pitre… Comme le danger était pressant et ne permettait pas de temporiser, le général Gobert concerte un plan d’attaque qui devait s’opérer sur deux colonnes… Pélage dirigeait l’avant-garde. L’ennemi n’eut aucune connaissance de ces dispositions.

Le 6 prairial (26 mai) à sept heures du matin, l’affaire était engagée. L’ennemi qui n’avait d’autre ressource que de vaincre, se battit avec acharnement et les succès furent balancés jusqu’à l’arrivée du général Gobert dont la présence, vers midi, ranima l’ardeur des troupes françaises. Elles essayèrent plusieurs attaques. La principale fut dirigée contre la porte du fort avec de l’artillerie… Nos soldats se mettaient en mouvement pour forcer le passage lorsque les rebelles, menacés d’être passés au fil de l’épée, se précipitent en foule de dessus les murs. Le feu de la mousqueterie en tua 570 dans les fossés.

Une explosion, préparée dans l’intérieur du fort, fit sauter ceux qui y étaient restés. Ignace, leur chef, environné de huit soldats qui allaient le faire prisonnier, leur dit : Vous n’aurez pas l’honneur de me prendre en vie, et se brûle la cervelle. Sa tête fut exposée à la Pointe à Pitre.

Cette mémorable affaire fut l’anéantissement des rebelles dans la Grande Terre. Elle laissa Palerme qui était resté dans les bois du Lamentin sans espoir, sauva la ville de l’incendie et les Blancs du massacre général qu’avait projeté Ignace… Pélage vit périr un de ses fils qui combattait à ses côtés… (5)

Quant au général Gobert, directement impliqué, il termine ainsi son rapport à ce propos :

Nos troupes cernèrent entièrement ce repère de brigands. Ils se jetaient du haut des murs sur les bayonettes de nos soldats. On en fit un carnage horrible. Nous entrâmes dans le fort et il ne resta de brigands que ceux que les soldats, las de tuer, laissèrent subsister pour la potence. Ils se firent sauter et Ignace se brûla la cervelle. On enterra le lendemain 675 Noirs dans le fort. 200 furent livrés à la Commission militaire et une foule d’autres dont on a depuis retrouvé les cadavres desséchés, allèrent périr dans les bois et les halliers. (6)

Dès le 19 mai, Richepance avait institué une Commission militaire destinée à juger ceux qui s’opposent aux troupes françaises.

Seul l’historien Lacour nous rapporte l’épilogue de ce douloureux massacre de Baimbridge :

Les 250 prisonniers faits à Baimbridge furent conduits à la Pointe à Pitre. Le lendemain, on fusilla sur la Place de la Victoire 100 de ces infortunés. Le 27, les 150 restant furent menés au lieu-dit Fouillole. Là, placés sur le rivage, à la lame, ils furent fusillés. Les vagues emportèrent au large leurs cadavres…

Richepance, dans un rapport au ministre écrivit : Dans sa lutte contre Ignace, le chef de brigade Pélage a continué, pendant cette action, à donner des marques d’un courage qui tient de l’héroïsme. (7)

Précisément il n’est pas inintéressant de noter le constat que fait dans son Mémoire ce même Pélage :

Ainsi périt Ignace, ainsi finirent avec lui ses brigandages qui ne tendaient à rien moins qu’à la ruine entière de la Guadeloupe. Ainsi fut sauvée la Pointe à Pitre et toute la Grande Terre. Seuls les Abymes, le Gosier et le Morne à l’Eau souffrirent des premiers effets de ce torrent dévastateur. (8)

Pour mémoire, signalons que les deux jeunes fils d’Ignace furent, l’un tué à la Redoute de Baimbridge, l’autre fusillé, probablement sur la plage de Fouillole.

La défaite d’Ignace à Baimbridge et ses prolongements de la Place de la Victoire et de Fouillole ouvrent la voie à la fin de la Guerre de la Guadeloupe. Privé des renforts attendus, Delgrès est désormais isolé au Matouba où Richepance donne l’assaut final le 28 mai. L’explosion de Danglemont vient concrétiser le vœu exprimé par Louis Delgrès dans sa proclamation du 10 mai 1802 : « Eh bien ! Nous choisissons de mourir plus promptement ».

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(1) Cité in A. Lacour, Histoire de la Guadeloupe, 1858, T.3, p. 279

(2) S.H.A.T., B9 -1

(3) In F. Longin, Voyage à la Guadeloupe, 1848, p. 191

(4) Lacour, op. cit., t. 3  p. 310

(5) Rapport Ménard, SHAT, B9 -1

(6) Le Moniteur Universel, 23 Vendémiaire, an XI

(7) Lacour, op. cit.

(8) Mémoire de Magloire Pélage, T. 1, p. 294

 

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SOMMAIRE

HISTOIRE
21 octobre 1801, les hommes de couleur prennent le pouvoir en Guadeloupe
6 mai 1802, le Général Richepance arrive en Guadeloupe pour y rétablir l'ordre
Baimbridge et Fouillole dans la tourmente révolutionnaire de 1802
Matouba, 28 mai 1802
L'agitation politique en Guadeloupe entre 1794 et 1802
Chronologie

PERSONNAGES
Le combat de Delgrès
Le combat de Richepance
Biographies des principaux protagonistes

ETAT DES LIEUX
Les communes de Guadeloupe
L'agriculture en Guadeloupe en 1799
La population de Guadeloupe en 1796
La politique coloniale de la France à l'époque révolutionnaire

REFERENCES
Textes historiques
Glossaire historique
Textes littéraires
Illustrations audio-vidéo
Bibliographie

crédits

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par René Bélénus

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, juin 2022