Le contexte – La presse écrite et les débuts de la radio

 Dossier Laméca

Départementalisation
La Guadeloupe de 1946

LE CONTEXTE
LA PRESSE ECRITE ET LES DEBUTS DE LA RADIO

 

LA PRESSE

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, tout comme avant ce conflit, la principale source d’information du public guadeloupéen reste la presse écrite. Une presse relativement abondante mais, surtout, très politisée. En effet, la quasi-totalité des organes de presse sert en réalité de porte voix aux différents partis politiques locaux.

Quelques rares exceptions néanmoins comme le quotidien Le Nouvelliste, créé en 1902 et détenu par la famille Lara, qui fait un gros effort d’ouverture sur l’extérieur pour ne pas s’enfermer dans les contingences locales ou encore la Revue Guadeloupéenne, très soucieuse de promouvoir le patrimoine culturel guadeloupéen. Les sportifs trouvent, eux, avec Match de quoi alimenter leur passion, mais ce journal ne résiste pas longtemps à la tentation de s’engager dans le débat politique ambiant.

A l’image des partis de droite affaiblis par leur compromission avec le régime de Vichy, la presse écrite de droite connaît vers 1946 un relatif essoufflement, voire un affaiblissement. Son fer de lance depuis 1926, La Démocratie Sociale, relayant les idées et les messages du puissant député de la Basse-Terre, Gratien Candace, meurt de sa belle mort au rythme de la disparition de son maître à penser de l’échiquier politique local.

Trois autres journaux, traditionnels relais du courant radical et radical socialiste désormais très affaibli, L’Action, La Raison et Le Miroir de la Guadeloupe, parviennent néanmoins à survivre en puisant leur nouvelle énergie dans des courants de pensée issus de la Résistance, le MRP en partie, mais surtout l’émergence en politique du mouvement gaulliste.

Quant à La Voix du Peuple créé en 1934 par l’ancien député Maurice Satineau, il n’a rien perdu de sa verve et de sa ténacité légendaire sauf qu’il s’épuise dans un premier temps à réhabiliter l’image très controversée de son leader empêtré dans ses contradictions entre les pleins pouvoirs votés à Pétain, ses efforts désespérés pour être reconnu comme Résistant et tenter de laver son honneur malmené par le scandale de l’or des de Vries. Le temps de se refaire une virginité en politique et de retrouver, en 1948, un mandat électif national au Conseil de la République, Satineau fait de La Voix du Peuple un organe relayant ses idées schoelchéristes en Guadeloupe, ses convictions partagées entre le RGR auquel il est affilié en France et le gaullisme avec lequel il fricote opportunément mais, surtout, le plus virulent vecteur de l’anticommunisme en ces temps de lente élaboration de la guerre froide. Sur ce dernier point, il est d’ailleurs rejoint depuis 1945 par le journal catholique Clartés fortement influencé par les prises de position marquées de l’Evêque Jean Gay qui ne tarde pas à ériger son Evêché en bastion de la lutte contre le communisme.

Moins nombreuse mais bien plus militante et combative, la presse politique de gauche connaît en ces lendemains de guerre son véritable essor. Il est vrai qu’elle est portée par de jeunes politiciens dynamiques, le plus souvent élus de fraîche date ou en quête de leur tout premier mandat électif. Par ailleurs, ces derniers exercent, pour la plupart, des professions libérales avec une majorité de médecins et d’avocats sensibilisés à la chose politique pendant leurs études supérieures. Beaucoup d’entre eux ont été marqués par l’expérience du Front Populaire ce qui explique leur engagement politique à gauche. Il en résulte un net rajeunissement de cette classe politique, mais essentiellement et presque exclusivement à gauche, marquant une sorte de césure très sensible au plan idéologique au sein des Assemblées comme dans la presse écrite.

Deux grands courants se dégagent alors, reflétant la division croissante entre socialistes et communistes. Les premiers développent leurs idées depuis 1944 dans Fraternité, l’organe de presse du parti SFIO qui reflète avant tout les prises de position de leur chef de file Paul Valentino et de quelques-uns des ténors socialistes comme René-Paul Julan ou Omer Ninine. Quant aux communistes, outre Rosan Girard qui fait figure d’idéologue au sein de la fédération créée en 1944, Hégésippe Ibéné ou Ulysse Laurent figurent parmi les éditorialistes qui éclairent le plus fréquemment les lecteurs de L’Etincelle sur les activités du parti et sur la ligne politique qu’ils s’efforcent de faire prévaloir en son sein.

Enfin, parmi les organes de la presse écrite qui n’auront qu’une existence éphémère à l’issue de la guerre, signalons Les Cahiers de la Libération (1943-1946), le Bulletin Quotidien des Nouvelles (1945-1946) ou encore L’Homme Enchaîné (1944-1949).

 

LA RADIO

Mais au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce qui fait l’événement en Guadeloupe est la naissance, balbutiante certes mais effective, de la radio suite à une initiative privée. La toute première tentative de radiodiffusion se déroule un matin de mars 1945 dans un petit local situé en plein cœur de la ville de Basse-Terre, derrière le d’Arbaud Hôtel Royal. Les premiers mots prononcés par une voix parfaitement perceptible sur un poste récepteur situé à plusieurs kilomètres sont les suivants : « Ici Radio Guadeloupe, poste national français ». Cette voix était celle de Georges Godebert, un ancien militaire embauché comme présentateur. Mais l’exploit technique lui, émanait de deux hommes, un jeune apprenti, Max Monrose et, surtout, son patron, André Haan, propriétaire d’un magasin de postes de radio et d’appareils électriques américains. Plusieurs guadeloupéens parmi les plus aisés possédaient, en effet, déjà des postes récepteurs sur lesquels ils pouvaient capter des émissions en langue anglaise ou espagnole en provenance de Puerto Rico. Mais leur nombre est alors forcément limité car la couverture de l’île en électricité est relativement faible. Quoiqu’il en soit ces quelques privilégiés furent les premiers à jouir du succès de M. Haan.

Un succès faisant d’autant plus figure d’exploit que M. Haan avait fabriqué personnellement son émetteur à l’aide de pièces importées des Etats-Unis. Il s’agissait en la circonstance d’un émetteur à ondes courtes dont le rayon d’action couvrait toute la Guadeloupe et les îles voisines. M. Haan ne tarda pas à en accroître la portée, suffisamment en tous cas pour avoir un jour la surprise de recevoir du Japon une bande sonore sur laquelle ses émissions avaient été enregistrées. Toutefois, contraint de faire fonctionner sa station sur ses seuls revenus, il connaît rapidement d’énormes difficultés financières et doit faire appel à l’aide du Conseil Général. A la fin de 1945, le Gouverneur intérimaire, André Pierre, s’exprime à ce propos en ces termes devant l’Assemblée locale :

La radiodiffusion a pris de nos jours une importance telle qu’il n’est plus possible de la considérer comme un objet de luxe superflu. La Guadeloupe dispose d'un poste émetteur qui doit être considéré comme un merveilleux instrument de diffusion locale, susceptible d'informer rapidement la colonie de ce qui se passe dans le monde et chez elle, d'éduquer la masse par des programmes soigneusement établis et d'en élever aussi progressivement le niveau intellectuel et social. Si l'on considère le fonctionnement de Radio-Guadeloupe au cours de l'année 1945, on constate qu'un gros effort a été tenté : Radio-Guadeloupe émet sur deux longueurs d'onde : 49 mètres et 460 mètres. Afin de rendre la radio accessible au plus grand nombre, le propriétaire n'a pas hésité à installer de sa propre initiative des haut-parleurs sur les places publiques de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre. Le nombre croissant d'auditeurs prouve que cela correspondait à un besoin. Un deuxième studio d'émission a été installé à Basse-Terre afin d'être en contact permanent avec le service de l'information qui alimente les bulletins de presse. Il permet en outre aux collaborateurs bénévoles habitant Basse-Terre de prêter leur concours, tout comme ceux de Pointe-à-Pitre, contribuant ainsi à l'amélioration des programmes. Des radio-reportages de manifestations diverses, des interviews, des allocutions, conférences chroniques et émissions variées, ont été diffusés au cours de cette année, et il convient d'encourager l'effort d'un particulier qui sert utilement les intérêts de la colonie.

Une subvention de 200 000 francs devait être attribuée à Radio-Guadeloupe ; jusqu’à maintenant 100 000 francs seulement ont été versés. Je vous demande donc, d'accorder à Radio-Guadeloupe, pour l'exercice 1946, une subvention de 400 000 francs. Cette majoration de la subvention est justifiée :

l°) Par la nécessité d'augmenter les salaires du personnel, de même que les effectifs. Un strict minimum exige deux speakers et deux opérateurs.

2°) Pour la nécessité de couvrir les frais matériels qui ne cessent de croître : loyer, entretien du matériel, achats de disques, etc...

Si cette subvention est accordée, Radio-Guadeloupe pourra subsister honnêtement et un large appel aux compétences locales pourra permettre d'améliorer la qualité des programmes. L’installation de diffuseurs publics dans les communes se réalisant, la radio pénétrera ainsi progressivement dans les milieux les plus déshérités apportant avec elle progrès et culture. Si, au contraire, vous croyez ne pas devoir accorder cette subvention, Radio-Guadeloupe sera condamnée au silence, et l'on assistera au spectacle décevant de voir la Guadeloupe privée de station radiophonique, alors qu'il en existe partout ailleurs.

En décembre 1945, André Haan demande 1 300 000 francs à la colonie pour assurer le fonctionnement de sa station de radio. Il ne se vit proposer par les Conseillers Généraux que 350 000 francs. Le 1er janvier 1946, Radio-Guadeloupe cessa d'émettre. Les conseillers généraux demandèrent alors que la colonie achète le poste de Radio-Guadeloupe comme leurs collègues de l'île sœur l'avaient fait pour Radio-Martinique. Mais rien ne fut fait en ce sens.

Après quelques mois d'interruption, Radio-Guadeloupe, reprend ses émissions grâce à de nombreuses subventions qui lui permirent de s'équiper. A la fin de 1946, cette station possédait un speaker, un speaker-adjoint, un opérateur et une dactylo. En outre, elle disposait d'un studio à Pointe-à-Pitre où un commis des transmissions se rendait chaque jour juste pour brancher les appareils aux heures d'audition. Ce studio dont une partie servait simultanément de dépôt de café, se trouvait dans un local appartenant à M. Haan. Quant au studio de Basse-Terre lui, il fut transféré dans les locaux même de l'Hôtel Royal du Champ d'Arbaud. La location de ces locaux s'élevait alors à 1800 francs par mois, supportés par le service des transmissions.

C'est dans ces conditions que fonctionna jusqu'en 1948, Radio-Guadeloupe. Un récepteur d'information installé à Destrellan, à une dizaine de kilomètres de Pointe-à-Pitre, et appartenant à la T.S.F. permettait à Georges Godebert de lire chaque matin le bulletin des nouvelles qui lui était communiqué.

La station fit de grands efforts pour informer l’opinion sur tout ce qui se passait dans l'île : les avis d'obsèques, le disque des auditeurs, les reportages en direct des matchs de football et de boxe retenaient particulièrement l'attention des auditeurs. Lors du Tour cycliste de la Guadeloupe, en 1946 et 1947, l'émetteur fut transporté dans la voiture d’André Haan et des antennes attachées à des bambous placés en divers points de l'île. Les auditeurs, étonnés d'admiration, purent suivre de bout en bout les performances de leurs champions.

Mais Radio-Guadeloupe fit aussi très vite de gros progrès dans le domaine des programmes. La station avait sa troupe théâtrale, et émettait en direct des émissions classiques avec du Molière et du Racine. Tous ces programmes étaient élaborés sur place par un avocat, Me Jean Brie.

Radio-Guadeloupe émettait trois fois par jour, le matin (2 heures), le midi (1 heure) et le soir (3 heures). Voilà quelques émissions proposées par Radio-Guadeloupe à ses auditeurs en 1947 :

  • Dimanche 19 mars à 13h : « Celle qui inspira Wagner», évocation radiophonique présentée par l'ami Georges.
  • Mercredi 22 mars à 19h : «La vie du laboureur en Gascogne (ses chants et ses fêtes)», suivie d'une conférence donnée par M. Pesquidou et présenté par Me Jean Brie.
  • Dimanche 26 mars à 12h45 : «L'argot de François Villon à Edouard Bourdet », avec quelques extraits de « Fric-Frac » par la troupe artistique de Radio-Guadeloupe.
  • Mercredi 29 mars à 19h30 : au micro, Roger Fanfant et son orchestre guadeloupéen.
  • Enfin tous les mercredis à 18h et tous les dimanches à 9h, retransmission depuis l'Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-à-Pitre, des sermons de Carême.

Le personnel de Radio-Guadeloupe, à ses débuts, était formé sur place. Le premier journaliste métropolitain fut monsieur Jacques de Calande qui devint ensuite directeur à Radio-Algérie. Il faut également préciser que la future directrice de Radio-France, Jacqueline Baudrier fit ses premiers débuts à la radio à cette station de la Guadeloupe. Jeune institutrice à Pointe-à-Pitre, elle avait alors été découverte par monsieur Haan lors des Jeux Floraux des poètes antillais.

Signalons enfin, pour mémoire, que les postes de radio que l'on pouvait trouver à cette époque étaient presque tous américains, les principales marques étant Philco, RCA, Victor, Wells Garner… Seuls les postes de la marque Philips et de « Point bleu » ne l'étaient pas. Ces postes étaient vendus par André Haan et la Maison Philips à Pointe-à-Pitre et par M. Adolphe Catan à Basse-Terre.

 

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SOMMAIRE

La Guadeloupe de 1946 - introduction
La Loi de départementalisation du 19 mars 1946

LE CONTEXTE
Les Antillais en 1946
Population et Santé publique (tableaux)
Économie (tableaux)
L'économie de la Guadeloupe analysée par son dernier gouverneur
La presse écrite et les débuts de la radio

LA GUADELOUPE POLITIQUE 
Les maires de la Guadeloupe en 1945 et 1947
La Guadeloupe et la représentation nationale en 1946
Le Conseil Général en 1946
"Ce que signifie l'assimilation"

LES HOMMES 
Joseph Pitat, l'homme fort du nouveau département
Paul Valentino et la loi d'assimilation

LES DISCOURS
Aimé Césaire
Gaston Monnerville
Paul Valentino
Raymond Vergès

Illustrations audio-vidéo
Bibliographie

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par René Bélénus

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, mars 2006 - décembre 2021