La Guadeloupe politique – “Ce que signifie l’assimilation”

 Dossier Laméca

Départementalisation
La Guadeloupe de 1946

LA GUADELOUPE POLITIQUE
"CE QUE SIGNIFIE L'ASSIMILATION"

 

Causerie radiodiffusée du gouverneur intérimaire de la Guadeloupe, André Pierre (mars 1946)

Mes Chers Amis,

L’Histoire des peuples révèle qu’il faut des périodes séculaires pour réaliser la fusion, en une nation cohérente, d’éléments divers par leurs caractères, mais cependant communs par leurs origines. La France, elle, qui, la première en Europe, cimente définitivement son unité nationale, réalise ce fait social et politique unique dans les annales du monde, et qui demeurera sa gloire, de se prolonger dans cet hémisphère en y créant un territoire français au même titre que l’Anjou, la Provence ou la Savoie, à l’aide d’éléments d’origines les plus diverses, parfois même antagonistes, qu’elle fusionne en un tout harmonieux et assimile totalement.

Car, c’est bien là le sens profond du terme assimilation qui marque le vote de l’Assemblée Constituante. Assimiler, cela ne signifie point être assimilé et dissout, mais c’est, au contraire, l’action d’assimiler une culture et une certaine conception de l’existence. Ce n’est point acte de mort, mais de vie, de la même vie qui caractérise l’effort entrepris aujourd’hui par la France.

De même que, dès la première heure, les Antilles françaises et la Guyane étaient présentes dans les combats de la Libération, présentes au Tchad, présentes à Bir-Hackeim, présentes en Tunisie, en Italie et dans le glorieux régiment Normandie-Niémen, de même elles contribuent, dans les écoles, dans les laboratoires, dans les Usines et dans les Assemblées politiques, à l’édification de la Patrie de demain

Et c’est là, croyez-le, ce qui différencie le peuple des Antilles françaises de ses voisins, pour l’instant, peut-être, mieux vêtus et mieux chaussés : la fierté d’être la France, la fierté de savoir que sa culture, ses navires et ses avions ne sont pas une monnaie octroyée en échange de tonnes de sucre ou de bananes, mais le produit du génie de ses propres écrivains, de ses propres ingénieurs, de ses propres savants… Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à l’heure où le monde caraïbe est traversé de nouveaux courants d’idées émanant, les unes d’un idéalisme désintéressé, les autres d’un impérialisme mercantile à peine voilé sous les apparences de la liberté, le vote du 19 mars de l’Assemblée Nationale Constituante implique un choix. Le choix de la France qui, loin d’être distancée par d’autres Nations dans le domaine de la générosité et de la fraternité humaines, donnera, une fois de plus, le ton...

Un message d’espérance au monde ! tel est bien, actuellement, le sens de l’effort français. La loi du 19 mars en est l’une des manifestations les plus caractéristiques. En effet, si les conséquences administratives de cette loi, qui seront forcément fonction de la géographie, ne sont pas encore précisées, il paraît d’ores et déjà à nos yeux que, par son vote, l’Assemblée Nationale Constituante entend nous faire participer, directement et activement, à la grande réforme économique et sociale de la Nation.

Ce qui est capital, c’est qu’ayant compris que la liberté politique des citoyens n’est qu’un leurre, quand la Puissance publique reste soumise à l’influence de féodalités économiques désormais anachroniques, elle n’ait pas accepté que nos lointaines terres françaises, à la faveur même de leur éloignement, deviennent le dernier refuge de ces féodalités - 1848 avait vu le droit de suffrage accordé aux citoyens de la Guadeloupe, 1946 verra au moins commencer, grâce au vote de la Constituante, l’émancipation économique qui donnera un sens à ce droit de suffrage - 1946 complète et justifie 1848.

Aussi bien, mes amis, cette émancipation ne sera-t-elle possible qu’autant vous donnerez au monde, par votre discipline sociale, votre ardeur au travail, la preuve que vous la méritez La seule arme véritable que possède un peuple, bien plus que des escadres devenues illusoires, c’est la force de sa dignité et de sa maturité politique assises sur un travail fécond… Que serait, en effet, l’indépendance de populations isolées, ravitaillées peut-être par l’industrie de leurs puissants voisins, mais finalement condamnées à un assujettissement perpétuel, puisque ne participant pas au souffle qui anime les grands foyers humains de civilisation.

La solution française, le choix français de l’Assemblée Nationale Constituante qui intègre totalement nos Antilles et Guyane françaises dans ce foyer d’humanisme séculaire qu’est la France, sont un pas en avant dans la voie tracée par Schoelcher, vers l’Union totale des Hommes de Bonne foi et de Bonne volonté.

La Revue Guadeloupéenne, mars 1946.


Illustration musicale

La biguine "Nous assou mulets" de Honoré Coppet, chantée par Fréjus Mauvois (Odéon, 1948). Le titre (repris dans le refrain) est un jeu de mot ironique avec la traduction en créole du mot assimilé (sur un mulet).


 

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SOMMAIRE

La Guadeloupe de 1946 - introduction
La Loi de départementalisation du 19 mars 1946

LE CONTEXTE
Les Antillais en 1946
Population et Santé publique (tableaux)
Économie (tableaux)
L'économie de la Guadeloupe analysée par son dernier gouverneur
La presse écrite et les débuts de la radio

LA GUADELOUPE POLITIQUE 
Les maires de la Guadeloupe en 1945 et 1947
La Guadeloupe et la représentation nationale en 1946
Le Conseil Général en 1946
"Ce que signifie l'assimilation"

LES HOMMES 
Joseph Pitat, l'homme fort du nouveau département
Paul Valentino et la loi d'assimilation

LES DISCOURS
Aimé Césaire
Gaston Monnerville
Paul Valentino
Raymond Vergès

Illustrations audio-vidéo
Bibliographie

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par René Bélénus

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, mars 2006 - décembre 2021