Dossier Laméca

Kalinda et combats de bâtons à Trinidad

4. NEGRE JARDINS BANDS

 

L’art de manier le bâton était au cœur des processions de carnaval des esclaves émancipés. Dès les années 1850, des groupes d’hommes masqués, arborant flambeaux et bâtons, chantant et dansant, défilent dans les rues dès les premières heures du Lundi Gras. Ces groupes masqués s’autoproclamèrent Negre Jardin Bands.

Nègre Jardin.

Rappelons qu’avant l’émancipation de l’esclavage, lors du carnaval, à cette époque interdit aux esclaves, les planteurs français se déguisaient en Nègre Jardin - esclaves agricoles - selon l’inversion de rôles propre à la tradition carnavalesque. A leur tour, les esclaves émancipés reprennent l’appellation mais non la fonction du déguisement. Ils détournent l’inversion des rôles par laquelle les colons les représentaient : les esclaves agricoles sont devenus des stick fighters. Travestissant le costume de leurs anciens maîtres, les afro-descendants affirmaient par là-même leur identité d’homme libre.

Dans cette société, divisée racialement, c’est autour du carnaval que se cristallisa la construction identitaire politique et sociale des opprimés. Des saynètes rappelant les temps de l’esclavage sont jouées, des masques sont inventés, des mascarades noires sont célébrées. L’administration coloniale s’horrifie, condamne, réprouve et, ce faisant, attise les tensions socio-raciales de la société coloniale qui culminent dans de violentes émeutes lors des carnavals de 1881 et 1884. Opposant les sticks fighters aux Policiers, ces émeutes restèrent gravées dans la mémoire collective sous le nom de Cannes Brûlées Riots.

Extrait de la reconstitution des émeutes de 1881 organisée par le Comité National du Carnaval en 2003.
Vidéo: Florabelle Spielmann

A la suite de ces émeutes, une investigation fut menée par Lord Hamilton, historien et greffier du tribunal de Trinidad, qui écrit en 1881 :

les nègres célébraient l’abolition de l’esclavage en marchant dans les rues en groupes organisés et en chantant des kalindas » (i) (the Negroes celebrated the anniversary of their freedom (…) by marching in organized bands in the streets and singing the Kalinda songs).

C’est la première mention écrite que nous avons de la pratique des chants kalindas à Trinidad. Mais, si Lord Hamilton reconnaît l’existence du rituel de rue des afro-descendants et des chants qui leur étaient associés, il dénonce la barbarie païenne de ces représentations et il légiféra pour l’interdiction de toute forme d’exécution de kalinda : le port du bâton fut proclamé illégal, les danses, les chants, et les tambours furent interdits.

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(i) Cité par Elder 1964 :130.

 

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SOMMAIRE
1. Kalinda et combats de batons à Trinidad : introduction
2. Trinidad et son carnaval : un peu d'histoire
3. Des feux de cannes aux Cannes Brulées
4. Nègre Jardins Bands
5. Des Cannes Brûlées au carnaval d’aujourd’hui
6. Kalinda et Caraïbe
7. Le pouvoir du chant
8. Les tambours
9. Symbolique associée aux tambours
10. Kalinda is a spirit
Extraits musicaux
Bibliographie

conférence audio
"L'héritage franco-créole de la culture trinidadienne"

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par Florabelle Spielmann

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, octobre 2012 - février 2022