Dossier Laméca

Musique afro-colombienne

6. MODERNITÉS DU PACIFIQUE NOIR

Il serait faux de penser que les Noirs du Pacifique colombien, par-delà les musiques religieuses et celle du marimba, n’aient pas assimilé les musiques modernes internationales. Malgré l’isolement du Pacifique Sud, un certain nombre de formes et de styles musicaux ont été adoptés avec enthousiasme et adaptés au goût local.

 

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La guitare, une adoption ancienne

Dès 1760 au moins, la guitare est évoquée dans des récits sur la région du Pacifique, parfois comme accompagnant un groupe de marimba. On sait peu de choses du premier répertoire de guitare, mis à part qu’il ait pu intégrer des types de danse afro-hispanique comme le paracumbé (style semblable à la musique de marimba et aux jugas actuelles par sa structure rythmique).

Au début du XXème siècle, le répertoire de guitare comprend des genres internationaux tels que la valse, le fox trot, la conga cubaine (musique de carnaval) mais aussi des genres typiquement colombiens comme le pasillo et le bambuco, souvent accompagnés de violons et d'autres instruments à cordes. Genres musicaux qui sont également joués par des orchestres de type fifre et tambours appelés chirimía (à ne pas confondre avec la fanfare du Chocó décrite au chapitre 1).

Ces répertoires de chirimía et de guitare comprennent aussi des variantes de musique de marimba et de jugas traditionnelles. Et ces currulaos de guitare gagnent progressivement en popularité. Ainsi, un certain nombre de compositeurs de villes importantes du Pacifique, comme Petronio Álvarez (1914-1966) de la ville de Buenaventura et "Caballito" Garcés (1916-1995) de celle de Tumaco, composent des currulaos pour guitare qui sont joués dans les rassemblements informels et les salles de bal.

Petronio Álvarez (1914-1966).

 

Portrait de Petronio Álvarez.
Couverture d’un album qui lui rend hommage.

"Mi varita" (currulao de guitare) par le Grupo Tamafrí

 

L’attrait pour le mambo cubain

Au début du XXème siècle, les fanfares municipales des villes de Buenaventura et Tumaco jouent de la musique ”distinguée” le dimanche après-midi sur la place du centre-ville. Cependant, les jeunes musiciens de ces groupes étaient aussi des fans de disques portoricains, mexicains et cubains importés en Colombie depuis ces mêmes villes portuaires. Forts de ces influences, ils forment des orchestres de mambo où souvent, le piano est remplacé par la guitare. Des chanteurs, comme par exemple Tito Cortés (de la ville de Tumaco), enregistrent aussi des boleros, du son cubain et d’autres styles musicaux internationaux.

Certains de ces groupes, en particulier Peregoyo et son Combo Vacaná (de la ville de Buenaventura), comptent dans leur répertoire des currulaos et des jugas de guitare et même à l’occasion des alabados. Le musicien Peregoyo (1907-2007, de son vrai nom Enrique Urbano Tenorio) arrange aussi pour son grand orchestre de mambo des chansons comme certains currulaos populaires de Petronio Álvarez, créant ainsi une forme hybride, novatrice jusqu'à ce jour.

Le musicien Peregoyo (1907-2007), photo de droite.
Couverture de l’un des nombreux albums de Peregoyo et son Combo Vacaná.
Notez la diversité des styles musicaux, afro-colombiens et internationaux.

"Caso del vencedor" (currulao pour orchestre de mambo) par le  Conjunto Folclorico La Marucha

 

AUJOURD'HUI

A l'instar des orchestres de mambo des années 1940 et 1950, quelques musiciens de salsa colombienne, comme Jimmy Saa et Yuri Buenaventura, sont originaires de la région du Pacifique Sud. Le mélange d’une sensibilité salsa cosmopolite à des sonorités locales, comme l’a fait Peregoyo en son temps avec d’autres musiques, continue d’inspirer des groupes modernes de fusion tels que Grupo BahíaMarejadaGrupo Orilla et Herencia de Timbiquí.

Ces groupes ont donné une nouvelle visibilité à la musique afro-colombienne au plan national et international. Le groupe Herencia de Timbiquí, par exemple, a remporté un prix lors du Festival International de Chant de Viña del Mar du Chili en 2013 :

"Amanece" (marimba salsa) par Herencia de Timbiqui

 

"La guayabita" par le Grupo Orilla

 

Le Festival de Musique du Pacifique Petronio Álvarez, acteur important de la valorisation de l'identité noire colombienne

La renaissance de la musique de la côte Pacifique est étroitement liée au Festival de Musique du Pacifique Petronio Álvarez, qui se tient annuellement au mois d’août à Cali. Initié en 1996, il met en avant la musique traditionnelle du Pacifique Sud, celle de la région du Chocó mais aussi les fusions de nouvelle génération. Il a contribué à donner de la visibilité à la musique et aux musiciens du Pacifique colombien.

Il témoigne également de l’attention accrue accordée à la culture noire que l’on observe en Colombie depuis l’adoption d’une nouvelle constitution multiculturelle et de nouvelles lois dans les années 1990. Constitution et lois qui reconnaissent officiellement les Afro-Colombiens, en particulier ceux de la région du Pacifique, comme un groupe ethnique minoritaire.

Affiche de la 21ème édition du Festival de Musique du Pacifique Petronio Álvarez (2017).

 

Rap, dancehall, reggaeton... à la sauce Pacifique Sud

Les habitants de la région du Pacifique Sud sont aussi influencés par des styles musicaux plus récents. Le rap, le dancehall et le reggaeton venus des États-Unis, de Jamaïque, de Porto-Rico et de Panama sont très influents depuis une dizaine d’années, comme l’atteste l’émergence d’un certain nombre de rappeurs colombiens de la côte Pacifique comme par exemple, Junior Jeim et Element Black de la ville de Buenaventura, Leka el Poeta, Misterioso, et Master Boys de celle de Tumaco. Les compositions de ces musiciens traitent souvent de sujets spécifiques aux Noirs du Pacifique, employant de l’argot et des éléments musicaux traditionnels. Le groupe Chocquibtown, de la région du Chocó, qui aborde ouvertement le thème du patrimoine culturel afro-colombien, accède à une reconnaissance internationale avec un prix en 2015 aux Latin Grammy Awards et une nomination en 2014 aux Grammy de la NARAS (Académie nationale des arts et des sciences, U.S.A.), entre autres récompenses.

"Somos Pacifico" (marimba rap) par ChocQuibTown

 

Salsa choke

Au milieu des années 2000, des Noirs colombiens de la ville de Cali originaires de la côte Pacifique, créent un nouveau style de salsa fortement imprégné de sons urbains (en particulier le reggaeton) et de rythmes afro-colombiens. Appelé salsa choke, ce nouveau venu gagne très vite en popularité en Colombie. Le phénomène prend une ampleur internationale avec la Coupe du Monde 2014, quand l'équipe colombienne de football célèbre chacun de ses buts sur des pas de salsa choke !

"Ras Tas Tas" (salsa choke) par Cali Flow Latino

 

"Puro soye" (salsa choke) par Jr. Jein y DJ Piru de Buenaventura

 

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SOMMAIRE
1. La Colombie Noire
2. Le Pacifique Sud
3. Currulao, la danse du marimba
4. Arrullo, une berçeuse pour les Saints
5. Alabados et Chigualo, musique pour les morts
6. Modernités du Pacifique noir
Illustrations musicales
Sources

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par Dr Michael Birenbaum Quintero

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2017