Dossier Laméca

Musique afro-colombienne

1. LA COLOMBIE NOIRE

- La Côte Caraïbe
- L'archipel de San Andrés et Providencia
- La région du Chocó
- Les vallées du Cauca et de Patía

Environ 16 à 24% de la population de la Colombie (48 millions d'habitants) est d'origine africaine, ce qui démographiquement en fait la 3ème population d'afro-descendants de l'hémisphère occidental, après le Brésil et les U.S.A. Cette population, répartie sur plusieurs régions de la Colombie, a créé des formes musicales riches et variées.

Bien que le présent dossier prenne pour objet principal la musique de la côte Pacifique Sud, il est important d’évoquer la diversité afro-musicale des régions colombiennes.

L'importation en Colombie d'Africains asservis s’étend du 17ème siècle jusqu'à la fin du 18ème. L'esclavage est définitivement aboli le 21 mai 1851.

Les captifs Africains arrivés dans le port Colombien de Carthagène provenaient de Sénégambie, de la Côte-de-l'Or, du golfe du Bénin et d'Afrique centrale. Ils ont constitué le gros de la main d’œuvre sur laquelle a reposé l’économie colombienne coloniale. Les diverses formes culturelles héritées de leur pays d’origine furent enrichies par les cultures créoles espagnoles et indigènes rencontrées sur place.

La dynamique particulière de ces mélanges, la nature du travail que faisaient les esclaves africains et leurs descendants, et les types de musique et formes culturelles qui en ont émergé varient selon les régions.

La cartographie de la musique afro-colombienne s'étend ainsi sur cinq grandes régions : la côte Caraïbe, l'archipel de San Andrés et Providencia, le Chocó, les vallées du Cauca et de Patía, et la côte Pacifique Sud. Chacune se décompose en sous-régions avec des zones de partage.

La Côte Caraïbe

Le port caribéen de Carthagène était pour les bateaux négriers l'un des points d'accès névralgiques au continent sud-américain. Et la côte Caraïbe est encore aujourd'hui le lieu de concentration de nombreux Noirs colombiens et de styles musicaux afro-colombiens.

Les plus connus sont la cumbia, la gaita et le porro. Leur instrumentation comprend des tambours joués avec les mains, des hochets et un tambour basse bi-membranophone frappé avec une baguette. L'ensemble joue en polyrythmie et en général est accompagné d'instruments à vent comme la gaita, une flûte d'origine amérindienne.

Instruments de la Gaita.

"La mica prieta" (gaita) par Los Gaiteros de San Jacinto

Ces formes musicales ont souvent été jouées par les fanfares, appelées papayeras, en particulier dans la partie occidentale de la côte Caraïbe. Et dans les années 1940, elles ont fait l'objet d'orchestration pour grands orchestres, tels que ceux dirigés par Lucho Bermúdez (1912-1944) et Pacho Galán (1906-1988).

Le carnaval de Barranquilla

En musique comme en danse, les expressions témoignant d’un syncrétisme culturel entre les formes africaines, européennes et autochtones jouissent d’une place centrale lors du carnaval de la ville caribéenne de Barranquilla.

S’y exprime également des formes plus explicitement africaines :

- La Danza de Congos évoque les organisations fraternelles noires (cabildos) de la période coloniale.

- Les danseurs Son de Negro, peints en noir, effectuent des mouvements et des gestes caricaturaux et grotesques, représentation de la façon dont les esclaves moquaient leurs maitres à l'occasion du carnaval de la période coloniale.

En 2003, le carnaval de Barranquilla a été inscrit sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité de l’UNESCO (plus d'informations ici).

Le carnaval de Barranquilla (par l'UNESCO)

Le bullerengue, autre musique traditionnelle de la côte Caraïbe, se caractérise par des percussions jouant en polyrythmie, des chants féminins et des danseurs se relayant dans une ronde de spectateurs qui frappent des mains.

"Mariangola"(bullerengue) par Petrona Martínez

 

La partie orientale de la côte Caraïbe est le berceau du vallenato, musique très populaire en Colombie. Son instrumentation comprend un accordéon, un racloir tubulaire et un tambour joué avec les mains.

"Los campanales" (merengue vallenato) par Alejo Durán

 

La champeta est aussi une musique dont la popularité s'est considérablement accrue sur la Côte Caraïbe. Mélange d'adaptations locales de musiques de la Caraïbe, d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique du Sud (en particulier le konpa haïtien et les soukous, highlife, et mbaqanga africains), elle voit le jour à la fin des années 1960. Elle est diffusée sur de gigantesques murs d'enceintes (plus connue dans la Caraïbe anglophone sous le nom de sound systems) appelés picó.

"El liso" (champeta) par Luis Towers

Betoman et ses amis devant le picó Son Africano (San Basilio de Palenque, 2002).
Photo : Michael Birenbaum Quintero

 

Enfin, la ville de San Basilio de Palenque, fondée par des nègres marrons au 17ème siècle, conserve non seulement une langue créole avec des éléments d'espagnol et de kikongo d'Afrique centrale, mais aussi une musique aux tambours appelée lumbalú. En 2008, l'espace culturel de San Basilio de Palenque a été inscrit sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité de l'UNESCO (plus d'informations ici).

L'espace culturel San Basilio de Palenque (par l'UNESCO)

 

L'archipel de San Andrés et Providencia

Situé à l'ouest de la Caraïbe, l’archipel était à l'origine occupé par les britanniques et leurs esclaves anglophones. Et comme dans les autres colonies britanniques, sa population est protestante et parle l'anglais ou le créole.

La musique de l’archipel a donc été marquée par cette période britannique. Sa musique religieuse comprend en majorité des hymnes protestants anglais, chantés par un chœur d'église.

On trouve aussi dans ces îles un orchestre de danse traditionnelle comprenant une guitare, une mandoline, un violon, une percussion faite d'une mâchoire d'âne, des maracas et d'un cordophone basse fait à partir d'une bassine. L'orchestre joue du mento et d'autres musiques qui ont été populaires dans la Caraïbe à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, comme la contredanse et la polka.

"Providencia Mento" (mento) par Grupo Tradicional de Willie B. Archbold

San Andrés a aussi produit des groupes de reggae célèbres.

La région du Chocó

La province isolée du Chocó est une région de forêt tropicale humide qui s'étend du nord de la côte Pacifique colombienne à la frontière avec le Panama. Son cours d'eau principal, le fleuve Atrato, rattache la province à la Caraïbe. De nombreux esclaves africains ont été envoyés dans le Chocó pour travailler dans les riches mines d'or de la région.

La très joyeuse musique de fanfare appelée chirimía est le style le plus connue du Chocó. Son répertoire comprend des genres musicaux non-colombiens comme la polka, la danza, la contradanza et la mazurca (importés probablement de la Caraïbe), ainsi que des genres locaux comme l'abozao et le levantapolvo. L'orchestre de chirimía se compose d'une grosse caisse et d’une caisse claire de fabrication locale, de cymbales, d'un euphonium (petit tuba), d'une ou deux clarinettes, et dans sa version plus ancienne, de flûtes en roseau.

"La quita marido" (chirimía) par Chirimía la Contundencia

La chirimía est très populaire durant les fêtes de San Francisco (Saint François d’Assise, surnommé affectueusement "San Pacho") de la ville de Quibdó, où elle est dansée dans la rue du 3 septembre au 5 octobre. Les fêtes de San Pacho figurent depuis 2012 sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité de l'UNESCO (plus d'informations ici).

Fêtes de San Pacho de la ville de Quibdó.


Originaire du Panamá voisin, la tambora est un genre musical qui associe tambours et chant.


Comme la côte Caraïbe, la province du Chocó adopte aussi au début du 20ème siècle l'orchestre du sexteto cubain et son répertoire de son.


Le Chocó partage des formes musicales de la côte Pacifique Sud, mais avec ses propres variantes, notamment l'alabado, le canto de boga, ou la cérémonie religieuse nommée gualí (identique au chigualo du Pacifique Sud).


Quelques-uns des groupes les plus réputés de salsa colombienne proviennent du Chocó.

Les vallées du Cauca et de Patía

De nombreux esclaves africains ont été déportés dans la vallée du Cauca pour travailler dans les plantations, les raffineries sucrières, les fermes bovines et les mines d'or. Elle fut le lieu de résidence d'un grand nombre de riches blancs créoles, propriétaires des mines d'or du Chocó et du Pacifique Sud, séparés de la vallée du Cauca par la partie occidentale de la Cordillère des Andes.

La vallée de Patía voisine a été le siège de la plus grande communauté de nègres marrons de l'ouest de la Colombie, appelée El Castigo.

La musique de la région a été assez peu étudié. Mais une de ses formes musicales majeures est le bambuco, joué par un orchestre à cordes typique de Patía. Il présente des caractéristiques communes avec la musique à cordes des Andes, du même nom, et avec la musique currulao du Pacifique Sud.

La fuga de la vallée du Cauca rappelle la juga du Pacifique Sud. Elle est jouée par un orchestre à cordes ou par une fanfare (en particulier lors des cérémonies religieuses de l'Adoration de l'Enfant Jésus au mois de février).

Les zones rurales de la région organisent occasionnellement une cérémonie similaire au chigualo du Pacifique Sud ou au gualí du Chocó.

 

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SOMMAIRE
1. La Colombie Noire
2. Le Pacifique Sud
3. Currulao, la danse du marimba
4. Arrullo, une berçeuse pour les Saints
5. Alabados et Chigualo, musique pour les morts
6. Modernités du Pacifique noir
Illustrations musicales
Sources

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par Dr Michael Birenbaum Quintero

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2017