Dossier Laméca

Les fondations du mouvement hip-hop en Guadeloupe (1990 - 2010)

INTRODUCTION

 

La culture hip-hop prend forme en Guadeloupe dans le sillon de l’émission mythique H.I.P.H.O.P. présentée par l’animateur Sidney sur TF1 en 1984. Loin de l’hexagone et de son industrie musicale alors bouillonnante, la fièvre du graffiti se propage tandis que des albums et des clips sortent et rencontrent leur public au début des années 2000. Alors que la médiatisation nationale s’intensifie autour du rap français, le rap guadeloupéen connaît une diffusion très limitée en France. Les quelques disques distribués dans les magasins FNAC sont alors classés dans les bacs de World Music… Cette marginalisation des productions musicales guadeloupéennes n’a pas empêché l’émergence d’une scène rap foisonnante qui, paradoxalement, a pu développer ses propres codes sans avoir à s’adapter aux logiques du marché français. La jeunesse guadeloupéenne des années 1990 a contribué à l’élaboration et à la propagation d’un mouvement hip-hop en y investissant des expériences sociales et culturelles qui ont renouvelé ses formes et ses thèmes.

Pochette de l’album Sé Sa Ki La Vi du groupe The New Force (TNF).

Le premier album de rap guadeloupéen paraît en 1989. Sur cet album intitulé Sé sa ki la vi, un morceau engagé marque les esprits, « Hugo » du nom du cyclone qui a durablement frappé la Guadeloupe au mois de septembre 1989. Cet album, qui n’a circulé que dans le milieu underground, est aujourd’hui introuvable. Une copie a cependant été conservée par le rappeur Star Jee, membre fondateur du Karukera Crew, collectif hip-hop créé en 1991. Aujourd’hui professeur de mathématiques, ce collectionneur dans l’âme a gardé une copie de tous les disques de rap parus en Guadeloupe jusqu’à l’avènement d’internet. Ses archives sonores rendent compte d’une production discographique prolifique au tournant des années 2000 avec la parution d’une soixantaine d’albums entre 1998 et 2010. Si certains albums peuvent être écoutés sur YouTube ou sur des plateformes dédiées à l’écoute de musique en streaming, la plupart de ces disques, en grande majorité autoproduits en dehors des circuits traditionnels de l’industrie musicale, sont épuisés et leurs référencements absents des catalogues de centres de ressources dédiés à la musique.

La parution de ces albums a posé les fondations d’un mouvement hip-hop qui s’est structuré en Guadeloupe entre les années 1990 et 2010. Ce premier âge d’or du rap guadeloupéen se caractérise par des textes conscients, militants et festifs avec un sens de l’ego trip et du collectif, de l’humour et de la dérision. Les textes décrivent la réalité sociale de la Guadeloupe et ouvrent un espace d’expression en totale opposition avec l’imaginaire exotique associé aux représentations touristiques. Des paroles moins frontales que dans le rap français mais tout aussi acérées qui dévoilent l’impensé colonial qui continue d’irriguer les discours portant sur cette ancienne colonie française. ​​Un genre de rap qui se caractérise par un flow en langue créole, des sonorités et des thèmes ancrés dans la vie et les enjeux du pays.

 

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SOMMAIRE
Introduction
1. Emergence d’une scène rap guadeloupéenne : comment la culture hip-hop a-t-elle été appropriée en Guadeloupe ?
2. Rap guadeloupéen : quelles influences musicales ?
3. De la rue aux studios : comment s’est structurée la scène rap guadeloupéenne ?
4. Premier âge d’or du rap guadeloupéen : quelles en sont les principales caractéristiques ?
5. Musique Kako : quel engagement derrière la création musicale ?
Conclusion : du rap à la trap
Illustrations musicales
Discographie (1998-2010)

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par Dr Florabelle Spielmann

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, novembre 2023