3. De la rue aux studios : comment s’est structurée la scène rap guadeloupéenne ?

Dossier Laméca

Les fondations du mouvement hip-hop en Guadeloupe (1990 - 2010)

3. DE LA RUE AUX STUDIOS : COMMENT S’EST STRUCTURÉE LA SCÈNE RAP GUADELOUPÉENNE ?

 

Au début des années 1990, un nombre croissant d'émissions radios se consacrent au rap sur toute la Guadeloupe : Radio Initié (DJ Spaghetti), Bazin FM (DJ Dezyr et Maj Traffyk), Radyo Tanbou (DJ Malik Abdul), Kadans FM (DJ Exxos), Radio Gayak (Dimitri), Radio Magic (Jeff et Major Skat), Radio Basse-Terre (DJ Gunshot et DJ Octcopus).

Dans ce contexte, Radyo Tanbou accepte le projet de NAT (Nèg Avan Tou), collectif du quartier Les Lauriers à Pointe-à-Pitre, qui souhaite organiser une émission dédiée à la scène rap underground. Quatre membres de ce collectif mettent ainsi en place un format d’émission radio ouvert aux rappeurs de Guadeloupe. Cette émission prend le nom de 105 Freestyle FM et est diffusée les vendredis de 20h à minuit entre 1994 et 1998. Animée par des DJs, l’émission débutait par la diffusion de morceaux de rap français et de rap américain. Puis les rappeurs se succédaient pour faire des freestyles ou rapper des textes préparés. Radyo Tanbou devint un carrefour incontournable de la musique rap en Guadeloupe, favorisant des mises en relation entre rappeurs de différentes parties de l’île. Cette émission donna une visibilité à la première génération de rappeurs guadeloupéens qui perfectionna ses pratiques d’improvisations rappées dans un contexte de performances agonistiques : « les jeunes rappaient souvent debout avec la même énergie que dans la rue ».

C’est dans le sillon de l’émission 105 Freestyle FM que les médias locaux commencèrent à consacrer des programmes télévisuels au rap. Des émissions devenues cultes participent ainsi à faire connaître la culture hip-hop auprès d'un plus large public. Des animateurs comme Bruno Liber ou Brother Jimmy font bouger les lignes. Ainsi l'émission Big Up animée par Brother Jimmy sur la chaîne Canal 10 diffuse des clips de rap et de dancehall. Face au succès rencontré par cette émission, Brother Jimmy est sollicité pour créer l'émission Réyèl Attitude. Diffusée sur la chaine de télévision RFO à partir de 1997, cette émission met à l'honneur les musiques rap et dancehall et amplifie leur existence dans l’espace médiatique.

Avant que ne paraissent les premiers albums de rap guadeloupéen au tournant des années 2000, les mixtapes de DJ Phonie, DJ Moody Mike ou encore du Gang des antillais compilent chacune différemment des productions originales, des remix de morceaux de rap américains et français, des freestyles de rappeuses et de rappeurs guadeloupéens. Une dizaine de mixtapes sorties dans les années 2000 ont été numérisées et mises en ligne par DJ Moody Mike : https://www.mixcloud.com/rapkreyolstation/

C’est dans ce contexte foisonnant que Riko Debs décide de produire le premier album de rap en Guadeloupe. Il s’agit de l’album du groupe La Horde Noire, un groupe composé des rappeurs Daly, Darkman, Edinyo et Tysmé, tous membres du Karukera Crew. Cet album paraît en 1998 et rencontre un énorme succès localement porté par la popularité du titre « Mi La Sa Ka Bay ».

Pochette de l’album La Horde Noire - Produit par Rico Debs, 1998.

La chanson « Mi La Sa Ka Bay » fut aussi le support du premier clip de rap guadeloupéen réalisé par Jean-Luc Stanislas alias Slas qui met à l’honneur la Guadeloupe et plus largement la Caraïbe dans son travail.

Clip du morceau « Mi La Sa Ka Bay » extrait de l'album La Horde Noire - Produit par Rico Debs, 1998 - Réalisation : Jean-Luc Stanislas alias SLAS :
https://youtu.be/HV2nLnoNDaU?si=QvPGiiU1p7H6ezhd >>>

Le succès rencontré par la sortie de l’album La Horde Noire marqua le début de la production discographique dans le domaine du rap en Guadeloupe. Cette production discographique se structure principalement autour du label Riko Records. Quelques enregistrements sont produits par Tululu Records et Lala Prod. Les autres enregistrements qui voient le jour sortent sur des labels indépendants. Entre 1998 et 2010, une soixantaine d’albums furent ainsi commercialisés loin de l’industrie musicale hexagonale.

 

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SOMMAIRE
Introduction
1. Emergence d’une scène rap guadeloupéenne : comment la culture hip-hop a-t-elle été appropriée en Guadeloupe ?
2. Rap guadeloupéen : quelles influences musicales ?
3. De la rue aux studios : comment s’est structurée la scène rap guadeloupéenne ?
4. Premier âge d’or du rap guadeloupéen : quelles en sont les principales caractéristiques ?
5. Musique Kako : quel engagement derrière la création musicale ?
Conclusion : du rap à la trap
Illustrations musicales
Discographie (1998-2010)

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par Dr Florabelle Spielmann

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, novembre 2023