5. Musique Kako : quel engagement derrière la création musicale ?

Dossier Laméca

Les fondations du mouvement hip-hop en Guadeloupe (1990 - 2010)

5. MUSIQUE KAKO : QUEL ENGAGEMENT DERRIÈRE LA CRÉATION MUSICALE ?

 

Le beatmaker Exxos a créé au début des années 2000 un genre musical qu’il a appelé « kako » pour rendre compte de la spécificité des musiques et des instrus qu’ils composent, des sonorités qui mêlent des musiques traditionnelles et populaires guadeloupéennes, des musiques caribéennes, des musiques du monde et des sons électroniques. Sur le site internet d’Exxos, on peut lire que la musique kako met en exergue les différences culturelles « sans rejeter ni nos racines et valeurs, ni à la fois notre désir de modernité et notre soif de prendre part au dessein de ce monde ». Plus qu’une musique, le son kako identifie « l’homme nouveau, le mawon libéré de ses entraves qui se reconstruit avec les outils dont il dispose ».

Dans cette définition de la musique Kako, Exxos associe la figure de l’esclave fugitif (le mawon), symbole de résistance au système esclavagiste, à la fabrication de musiques nouvelles. Ainsi, plus qu’une simple fusion de sonorités différentes, la musique kako s’inscrit dans un mouvement d’affirmation identitaire et culturelle. De plus, cette définition de la musique kako participe à déjouer les logiques dominantes de catégorisation musicale et culturelle.

En 2004 paraît l’album d’Exxos Pass di Rhum Riddim. Ce one-kako-riddim album met à l’honneur la scène hip-hop et dancehall des années 2000 avec des featurings de Star Jee, Admiral T, Riddla, Krys, Nèg Lyrical, Gwada Nostra, Tiwoni, Féfé Typical, Flo... Le titre de cet album est directement inspiré du morceau Pass the Courvoisier des américains Busta Rhymes, P. Diddy et Pharell Williams.

Les albums d'exXÒS mètKaKOla :
https://exxosmetkakola.bandcamp.com/ >>>

Pochette de l’album Pass di Rhum Riddim du beatmaker Exxos, 2004.

La musique kako rend compte d’une démarche créative qui fait aussi écho à un état d’esprit véhiculé par le Karukera Crew, collectif fondé en 1991 par Exxos et le rappeur Star Jee. Ce collectif a contribué au mouvement hip-hop guadeloupéen en proposant dans leurs morceaux un son nouveau. Que ce soit les rythmes, les samples, les scratchs, le flow..., les MCs, les beatmakers et les DJs du Karukera Crew innovent et posent les canons d'un rap guadeloupéen créolophone avec un art de la rime s'inscrivant dans une filiation revendiquée à la Zulu Nation d'Afrika Bambaataa (peace, love, unity and having fun) et résolument ancrée dans la culture caraïbéenne. Sur leur premier maxi sorti en 2000, le Karukera Crew invite ainsi le chanteur dominiquais Jeff Joseph, le rappeur martiniquais Neg Lyrical et les rappeurs guadeloupéens Dalee, Lesly et Edinyo.


« Nina É Gwada » morceau extrait du premier maxi du Karukera Crew sorti en 2000.

Dans les textes des rappeurs du Karukera Crew, il y a de l’humour, la promotion de valeurs positives, des textes qui valorisent à la fois les identifications créoles et afro-descendantes, des textes qui mettent à l’honneur la Guadeloupe de façon non exotique comme dans le medley du rappeur Mano d’iShango (qui évoluait alors sous le nom de Tysmé) :

Voici un autre exemple avec le clip du morceau « Lapwent » extrait de l’album Mèt Lékol Hip Hop Kréyol du rappeur Star Jee sorti en 2011. Ce morceau est un hymne rendu à la ville de Pointe-à-Pitre :

Plus largement, les sonorités Kako ont irrigué toute la scène musicale guadeloupéenne. Elles ont été les supports de morceaux engagés et festifs comme « Péyi Mwen » de la chanteuse G’ny sorti en 2013 ou encore « Kako Ridah » de la rappeuse Flo sorti en 2017 sans oublier les magnifiques compositions musicales aux inflexions soul de la chanteuse Meemee Nelzy.

G’ny :

 

Flo :

 

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SOMMAIRE
Introduction
1. Emergence d’une scène rap guadeloupéenne : comment la culture hip-hop a-t-elle été appropriée en Guadeloupe ?
2. Rap guadeloupéen : quelles influences musicales ?
3. De la rue aux studios : comment s’est structurée la scène rap guadeloupéenne ?
4. Premier âge d’or du rap guadeloupéen : quelles en sont les principales caractéristiques ?
5. Musique Kako : quel engagement derrière la création musicale ?
Conclusion : du rap à la trap
Illustrations musicales
Discographie (1998-2010)

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par Dr Florabelle Spielmann

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, novembre 2023