6. Incursions des marrons dans l’univers mondialisé de la musique

Dossier Laméca

Musique Marronne des Guyanes

6. INCURSIONS DES MARRONS DANS L'UNIVERS MONDIALISE DE LA MUSIQUE

 

La migration des Marrons de l'intérieur vers la région côtière n'a rien de nouveau. À partir du moment où les premiers groupes ont fui les plantations au 17e siècle, l'isolement des Marrons n'a jamais été étanche. Les interactions entre les colonies côtières, les plantations et les communautés Marronnes à l'intérieur de la forêt tropicale se sont poursuivies après la signature des traités de paix et les missions religieuses au milieu du 18e siècle. Après l'abolition de l'esclavage au Suriname en 1863, les contacts Créoles-Marrons se sont intensifiés, car l'extraction de l'or et le saignement du balata (une sorte caoutchouc) ont attirés des créoles dans l'intérieur et inversement des hommes Marrons ont migré vers la côte à la recherche de travail. Mais ce n'est qu'au cours des dernières décennies du 20e siècle que la migration entre l'intérieur et la côte a atteint une échelle vraiment spectaculaire.

Depuis plus de quatre décennies, les jeunes migrants Marrons participent à la scène musicale populaire de Paramaribo (Suriname), remodelant les traditions musicales de leurs aînés et s'appuyant sur un éventail cosmopolite d'influences pour créer de nouvelles musiques populaires urbaines. L'un des groupes de kaseko de Paramaribo les plus influents, les Cosmo Stars, a été formé en 1977 par de jeunes Marrons Saamaka. De nombreux groupes de kaseko, composés totalement ou en partie de Marrons, devaient suivre leurs traces, et peu de temps après, ces jeunes musiciens Marrons contribuaient à établir de nouvelles tendances dans la musique populaire urbaine du Suriname.

Au cours des années 1980, alors que la migration de main-d'œuvre vers la côte et la prolétarisation des jeunes Marrons augmentaient, les musiciens et influences musicales des Saamaka et Ndyuka, ont commencé à se déplacer vers le centre de la scène musicale populaire de Paramaribo. Non seulement les jeunes artistes Marrons ont eu un impact significatif sur les groupes Créoles de kaseko, mais beaucoup d’entre eux ont formé leurs propres groupes. Les groupes Marrons de kaseko ont proliféré, et ils ont rejoint leurs pairs Créoles pour expérimenter et absorber des éléments de diverses musiques populaires latines, caribéennes, nord-américaines et africaines, en y ajoutant leurs propres touches. Au début des années 1990, une multitude de groupes entièrement ou majoritairement Marrons - des groupes tels que Jong Cosje, Rensje et Awojo 2000, Johan Lekker et Dymo Action, Lamora Sound, Yakki Famiri, Papylon Special, High Class, Exco's et bien d'autres – occupaient intensément les studios d'enregistrement de Paramaribo et connaissaient une popularité sans précédent. Cette période a également vu l'émergence de groupes Marrons de l’autre côté de l’Atlantique aux Pays-Bas. L'un des premiers et des plus connus a été les Exmo Stars, formée au début des années 1980. Certains des groupes Marrons kaseko (ou en grande partie Marron) les plus innovants et populaires de la fin des années 1980 au début des années 1990 - par exemple, Ghabiang, Livemo Bradi Banti, Ghabiang Boys et Yakki Famiri - ont fait leurs débuts dans des villes hollandaises ou se sont installés en Hollande et continués à développer leur carrière après leur début au Suriname.
 

Audio 1
"Kaseko Jam" de Ennymo Stars (groupe Saamaka de kaseko) enregistré par Kenneth Bilby à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane française, le 16 juin 1987.

 

Audio 2
"Bari Odi Gi Mi" Ennymo Stars (groupe Saamaka de kaseko) enregistré par Kenneth Bilby à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane française, le 16 juin 1987.

 

Téléphone - Rico (aleke kaseko).

 

La guerre civile surinamaise de la fin des années 1980 et du début des années 1990 a déclenché une migration des Marrons vers la ville et hors du Suriname à une degré sans précédent, et les répercussions sociales et économiques de ces mouvements sont encore perceptibles dans la culture populaire. Alors qu’au cours des années 1990, la présence des Marrons augmentait dans les zones urbaines, une nouvelle génération de jeunes groupes Ndyuka et Saamaka a émergé et a connu une grande popularité, tels que Aphiong Boyz, Kriss Kross Deki Strepi et Big City Maraniau. Ceux-ci comme d'autres groupes de jeunes Marrons ont continué à intégrer à leur musique de nouvelles influences aussi bien transnationales que locales, allant du merengue dominicain et dancehall jamaïcain à la kawina, un genre Créole traditionnel surinamien qui a été relancé par la jeunesse urbaine et a connu un boom durant cette période. (la kawina est devenu particulièrement populaire chez les jeunes Marrons Saamaka, devenant un équivalent Saamaka de l’aleke Ndyuka.)
 
L'urbanisation des Marrons a continué de croître rapidement à partir des années 1990, ce qui a eu un impact puissant sur la culture et la musique des Marrons du Suriname. L'éventail des influences culturelles et musicales provenant de « l'extérieur », déjà extrêmement vaste, a continué de s’étendre. Et une nouvelle génération de jeunes artistes Marrons urbains de reggae a pris de l'importance au côté de ces jeunes musiciens Marrons travaillant dans d'autres genres populaires. Simultanément, les opportunités pour la musique Marronne de toucher un public plus large au Suriname et à l'international se sont multipliées à mesure que de nouveaux canaux de distribution se sont ouverts. Le changement de contenu de la musique est également le reflet de l’évolution de la position sociale des Marrons, et peut présager l'émergence d'une identité pan-Marron plus forte à un moment où les Marrons urbains font l’objet d’une marginalisation collective et adressent de nouvelles revendications politiques à la nation surinamaise.
 

Audio 3
"Revolution ina Saanan" ("Revolution in Suriname") de Local Song (groupe Ndyuka de reggae) enregistré par Kenneth Bilby à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane française, en avril 1987.

Chanson reggae composée en réponse à la guerre civile qui a éclaté au Suriname à la fin des années 1980, au cours de laquelle de nombreux civils Marrons ont été pris pour cible par l'armée nationale surinamaise.

PAROLES :

CH : Revolution ina Saanan, oh no no
Revolution ina Saanan

(répéter le refrain)

Ala den sama e lon e libi den oso anda, oh no no
Ala den sama e gwe, e fika den sani

(répéter le refrain)

Na den soldati nou e boon den oso fu den sama, oh no no
Na den soldati seefi e booko a kondee
Oh, man, a switi Saanan

(répéter le refrain 2x)

Na den soldati e teke goni e sutu ala den pipel, oh no no
Kande den denki taki Ndyuka na meti
Meke u bali den puu na a sani

(répéter le refrain)

Meke u poti ede na wan fu tyai a Saanan kon baka, oh no no
Meke u poti ede na wan fu denki den taa wan
di de a Foto e dede anda, oh no

(répéter le refrain 4x)

TRADUCTION :

CH: Révolution au Suriname, oh non non
Révolution au Suriname

(répéter le refrain)

Tous les gens courent et abandonnent leurs maisons là-bas, oh non non
Tous les gens partent et abandonnent leurs biens

(répéter le refrain)

Ce sont les soldats qui incendient les maisons des gens, oh non non
Ce sont les soldats eux-mêmes qui détruisent le pays
Oh, mec, la douce Suriname

(répéter le refrain 2x)

Ce sont les soldats qui prennent des fusils et tirent sur tout le monde, oh non non
Ils pensent peut-être que les Ndyukas sont des animaux
Crions-leur d'arrêter

(répéter le refrain)

Rassemblons nos esprits pour ramener le Suriname, oh non non
Mettons nos têtes ensemble et pensons aux autres
Qui meurt à Paramaribo, oh non

(répéter le refrain 4x)

 

Audio 4
"Jungle Commando" de Local Song (groupe Ndyuka de reggae) enregistré par Kenneth Bilby à Saint-Jean-du-Maroni, Guyane française, le 26 juin 1987, lors d'une danse organisée pour et en présence de Ronnie Brunswijk et son "Jungle Commando" (combattants de la guérilla Marronne durant la guerre civile du Suriname de la fin des années 1980), qui prenaient une pause durant la bataille du côté français du fleuve Maroni.

Chanson reggae composée en réponse à la guerre civile qui a éclaté au Suriname à la fin des années 1980, au cours de laquelle de nombreux civils Marrons ont été pris pour cible par l'armée nationale surinamaise.
 
PAROLES :

CH: Jungle Commando (4x)

Den blackman san komoto fu Africa
Kon libi ini La Guyane city
Da den blackman e fight den seefi fu a dala
Da a Jungle Commando e suku fu puu den blackman ini a pina
Tyaa kon libi ini Faansi country

(refrain et couplet répétés plusieurs fois)
 
TRADUCTION :

CH: Jungle Commando (4x)

Les Noirs venus d'Afrique
Ont fait leur vie dans les Guyanes
Les Noirs s’affrontent pour le dollar
Le Jungle Commando essaie de sortir les Noirs de leurs souffrances
Les amène à vivre en territoire français

(refrain et couplet répétés plusieurs fois)

 

L’importante migration entre le Suriname et la Guyane française a également été un facteur important dans les récents développements musicaux, entraînant des influences croisées entre Marrons et d'autres musiciens des deux côtés. Un grand nombre de réfugiés Marrons de la guerre civile se sont retrouvés non seulement à Paramaribo mais en Guyane française, dans des régions comme Saint-Laurent-du-Maroni et Mana, certains provisoirement, d'autres définitivement. Les liens transfrontaliers exposent les jeunes Marrons de Paramaribo, même indirectement, à de nombreux et divers courants cosmopolites via le puissant impact culturel de La Métropole (et de ses anciennes colonies en Afrique et dans la Caraïbe) sur le Département d’Outre-Mer sud-américain de la France. Cette fertilisation croisée se poursuit depuis au moins les années 1980 et se traduit par de nouvelles fusions de styles musicaux surinamais (tels que les kaseko, kawina et kaskawi) avec les reggae, zouk et soukous. Une active scène musical Marronne persiste aujourd'hui en Guyane française (en particulier dans la ville frontalière de Saint-Laurent-du-Maroni), allant de l'aleke au reggae (et dancehall) et au-delà, mettant en vedette des artistes comme Prince Koloni, Energy Crew, Spoity Boys, Jah Youth, Sco2 et Success Fighters. Les styles musicaux de ces artistes sont évidemment liés à des développements similaires à Paramaribo et autres lieux surinamais intermédiaires, comme Albina et Moengo, et sont influencés par des connections respectives avec la France et les Pays-Bas. Prince Koloni, le jeune chanteur Ndyuka de reggae est un bon exemple. Il est devenu particulièrement populaire en France, et a joué et enregistré là-bas et aux Pays-Bas, où il a vécu durant de nombreuses années. Bien qu'il soit souvent associé à la scène reggae franco-guyanaise, Koloni a été un membre fondateur du groupe surinamais d’aleke très populaire Fondering, qui se produit parfois encore avec lui. Groupe originaire du territoire Ndyuka sur les rivières Tapanahoni et Maroni de la forêt intérieure, à proximité de l’ile Stoelman's, là où la frontière entre le Suriname et la Guyane française est extrêmement poreuse. Il y a quelques années, Fondering s’est installé à Albina, une ville côtière frontalière du Suriname, située juste en face de Saint-Laurent-du-Maroni sur le cours inférieur du fleuve Maroni. D’ailleurs, le groupe joue et vend régulièrement sa musique des deux côtés de la frontière.

Comme suggéré ci-dessus, une tendance récente particulièrement visible, à la fois au Suriname et en Guyane française, est la popularité croissante du reggae orienté Rastafari auprès des jeunes musiciens Marrons. Encore une fois, ce n'est pas un phénomène entièrement nouveau. Des artistes jamaïcains de renommée internationale tels que Bob Marley, Black Uhuru et Gregory Isaacs sont populaires au Suriname et en Guyane française depuis la fin des années 1970, et des éléments du message et du style Rasta qu'ils ont projetés dans le monde ont été rapidement adoptés par de nombreux jeunes Marrons, ainsi que la consommation de cannabis (auparavant inconnu des sociétés Marronnes). À la fin des années 1970, il y avait déjà un groupe d’aleke nommé Rasta sur le territoire Marron Aluku. Au début des années 1980, les couleurs et le symbolisme graphique Rastafari étaient partout visibles dans les territoires Marrons en amont, et les dreadlocks étaient loin d'être rares. Plusieurs jeunes groupes Marrons de reggae ont vu le jour dans les années 1980 et 1990, certains d'entre eux s'alignant explicitement sur l'identité Noire plus globale, pressenti à travers la musique et les paroles Rastafari. Le groupe pionnier Aluku de reggae, Wailing Roots, formé au milieu des années 1980, a même obtenu une distribution internationale pour certains de ses disques et fait des tournées en Europe et aux États-Unis au début des années 1990.

Wailing Roots Live – Aloukou Soldiers.
 
Mais l'explosion la plus récente de musique reggae produite par de jeunes Marrons semble différer de ces exemples antérieurs à la fois en degré et en nature. Non seulement leur nombre est beaucoup plus important et leur public plus large, mais les jeunes artistes reggae Marrons d'aujourd'hui - ou du moins certains d'entre eux - s'engagent plus sérieusement dans la foi Rastafari, se connectant activement avec les réseaux transnationaux sans cesse croissants du mouvement Rastafari qui continue de se diffuser à travers le monde. De jeunes groupes reggae de Marron Rasta et des artistes individuels tels que Faya Wowia, Cry Freedom (dont les membres sont affiliés aux Douze Tribus d'Israël), I Ta Ves, Aiatonda, I King I Opo, Positif Vibration, Intervibration, West Kantoro et d'autres, affichent une connaissance beaucoup plus profonde des principes fondamentaux de Rastafari que leurs prédécesseurs. Leur musique de plus en plus complexe (qui incorpore parfois des rythmes de percussions Rastafariennes Nyabinghi), leurs paroles faisant l'éloge de Selassie comme figure divine et leur utilisation sophistiquée de l'iconographie Rasta suggèrent qu'ils pensent leur musique reggae non seulement comme une passerelle les reliant au monde Noir «moderne» plus large d’équivalents jeunes habitants prolétarisés du « ghetto » et « victimes » et ayant une histoire largement partagée, mais aussi comme l’intime conviction qu'ils continuent de s'adapter de manière originale à leurs propres cosmologies Marronnes. Et bien qu'une grande partie de ce nouveau reggae Marron, musicalement parlant, semble refléter de très près les styles reggae jamaïcains (ou internationaux), avec relativement peu de contributions de sources locales, il est intéressant de noter que la plupart des chansons explicitement Rastafari enregistrées par de jeunes artistes marrons sont composées dans leurs propres langues Marronnes (parfois combinées avec la lingua franca créole côtière, le sranan), affichent des qualités vocales propres et des contours mélodiques clairement liés aux styles de chansons Marrons, et abordent des thèmes locaux. En ce sens, comme les expressions musicales antérieures utilisées par les jeunes Marrons pour articuler les concepts de « modernité » et les relations avec des mondes plus vastes, ces musiques de la jeunesse Marronne d'aujourd'hui, peu importe à quel point elles sont fortement influencées par les tendances des mass-médias de la culture pop mondiale, semblent maintenir un certain équilibre entre les revendications centripètes des mondes sociaux et culturels locaux et les forces centrifuges associées à divers types de mondialisation. C’est peut-être en partie parce qu'elles équilibrent ces forces si efficacement, qu’elles fournissent de plus en plus aux jeunes Marrons un moyen stratégique de lutter contre la dislocation et l'aliénation culturelles et la marginalisation sociale et économique auxquels ils sont confrontés lorsqu'ils se déplacent dans de nouveaux environnements urbains.

Figure 1. CD cover for album Dondo Faya, by Ndyuka reggae artist Aiatonda (c. 2006).

 

Figure 2. Couverture CD de l’album Lobi du groupe Ndyuka de reggae Cry Freedom (vers 2006).

 

Figure 3. Couverture CD de l’album No More War du groupe Ndyuka de reggae Energy Crew (vers 2006).

 

Figure 4. Couverture CD de l’album Bosikopoe Vol. 3 du groupe Ndyuka de reggae Faya Wowia (2006).

 

Figure 5. Imprimé CD de l’album Busi Data du groupe Aluku de reggae Positif Vibration (2008).

 

Tour Roots de Guyane 2003.

 

Melly - Dansi Faya.

 

Prince Koloni - Real Bushinengué (“Vrai Marron”) (2011).

 

Musiques du Maroni.

 

Rencontres musicales sur le Maroni.

 

Aluku Liba - Success Fighters.

 

West Kantoro (groupe Ndyuka Rastafarien).

 

Fête de la Musique, Saint-Laurent-du-Maroni (2010).

 

Prince Koloni featuring Tarrus Riley - Nature (collaboration surinamo-jamaïcaine).

 

Neïman featuring Sizzla Kalonji – OK (collaboration surinamo-jamaïcaine).

 

Konshens featuring Rickman & G-Crew - Turbo Wine (collaboration surinamo-guyano-jamaïcaine).

 

Prince Koloni featuring Little Guerrier – Beautiful Day.

 

Itaves – Liba Sei.

 

Itaves – No No Kree.

 

Prince Koloni – Inzii Kango.

 

Prince Koloni – Judgement.

 

Prince Koloni – Freestyle at Party Time 2011.

 

www.srananpoku.com : site proposant à l’écoute une large sélection de musique populaire surinamaise, notamment de nombreux jeunes groupes Marrons travaillant dans le reggae et d'autres genres.

 

Lien vers le film documentaire "Poku fu Kenki" (musique pour le changement), réalisé par l'anthropologue brésilienne Olivia Cunha : www.lah-ufrj.org/poku-fu-kenki.html
 
Le film porte sur la ville Ndyuka de Moengo (dans le nord-est du Suriname), dévastée par la guerre civile (également connue sous le nom de "guerre intérieure") qui a éclaté à la fin des années 1980.
Tourné en 2013, il s’intéresse à un festival de musique local qui a été lancé par l'artiste Ndyuka Marcel Pinas pour encourager et promouvoir les activités musicales et le développement des jeunes de la région.

 

Un bon exemple d’insertion continue d'éléments traditionnels Marrons dans la musique populaire urbaine du Suriname est le banamba, une musique de danse à la mode qui s'est propagée sur la côte du Suriname et que l’on entend dans les enregistrements et les clips vidéo de ces dernières années. Le banamba s'inspire en partie du style traditionnelle chanté et dansé Saamaka appelée bandámmba (dont on peut écouter un exemple avec l’enregistrement de terrain de musique traditionnelle Marronne audio 9 du chapitre 3. La musique dans la vie traditionnelle des Marrons ; un autre exemple de bandámmba traditionnel est visible dans la première vidéo qui suit). La mode du banamba n'est qu'un des nombreux exemples de l'incorporation continuelle d'éléments stylistiques et références Marrons traditionnels dans les dernières tendances musicales des jeunes de la côte surinamaise et de la Guyane française. Il y a tout lieu de croire que ce type d'interaction dynamique entre les anciennes traditions et les nouvelles introductions continuera à guider les nouvelles tendances de la musique populaire des Guyanes à l'avenir.
 
Un exemple actuel est la vidéo ci-dessous avec laquelle nous terminons, "Je Suis un Boni" (Je suis un Aluku), par Rickman & G-Crew. Rickman est un Aluku (Boni) originaire de Maripasoula en amont du fleuve, au cœur de la forêt tropicale intérieure de la Guyane française. Après des années dans l'industrie de la musique côtière, durant lesquelles il a produit des chansons et des vidéos dans différents styles (kaseko, reggae, hip hop, etc.), il a eu un immense succès en 2016 avec cette chanson et cette vidéo dans laquelle il affirme fièrement son identité Aluku ( et aussi, plus largement, son identité de Marron et de Noir de la diaspora). De tous les Marrons des Guyanes, les Aluku, parce que leur territoire traditionnel est situé dans un département français d'outre-mer, ont probablement subi les pressions les plus anciennes et les plus intenses pour s'intégrer à la société plus large qui les entoure. Et ils continuent de lutter pour préserver l'intégrité de leur culture tout en ressentant les effets écrasants de l'intégration politique à une puissance mondiale (l'État français) et à l'intégration économique aux systèmes capitalistes européens et mondiaux. La vidéo, tournée dans le territoire traditionnel Aluku, est riche en symboles et en significations. La musique est basée sur l’instrumental populaire "Aleke Roots riddim", créé dans un studio moderne, mais la danse est essentiellement dans le style traditionnel Aluku awasa (avec des danseurs vêtus dans un style inspiré d’un type de vêtements traditionnels Aluku qui n'est plus porté dans la vie quotidienne) . Les paroles sont en partie en français (afin qu'elles soient accessibles au reste du monde francophone), et en partie en aluku (conformément au thème de la chanson sur la revendication de l'identité culturelle locale). Rickman termine sa chanson par les paroles aluku prononcés: "yu mu sabi pe te yu kumoto fi yu sabi pe te yu e go" (vous devez savoir d'où vous venez pour savoir où vous allez). Au cours des 30 dernières secondes environ, la vidéo passe de scènes de danse traditionnelle par la jeune génération Aluku actuelle (d'âge scolaire) à la pure musique de tambours traditionnels awasa. La vidéo a fait sensation en Guyane française, bénéficiant d'une couverture télévisuelle et médiatique considérable.

 

Banamba ku maw (bandámmba avec des frappements de mains [dans le style traditionnel]).

 

Sieka – Banamba.

 

Zware Guys – Banamba.

 

Banamba riddim remix part 1.

 

Original Makinety. Henki. Banamba.

 

Scrappy W - Suti Ondo Buuku Basu (Banamba Riddim).

 

Chocola baya Henkie ft Damaru (style kawina Saamaka).

 

Norma Sante - Miti Anga Sani (chanteuse Ndyuka populaire).

 

Rickman G-crew - Kapata doti (Kawina dancehall riddim by DJ Konfa).

 

Kaboela tempo riddim (CK Well - Bodjo Bodjo (Rickman - Ay teke faya) (Mister Den - Boeloe e faya) 2015 (kaboela ridim).

 

Rickman G-Crew X Lodilikie - Fake friend (G-Crew Music) janvier 2016 (afrobeat riddim).

 

Scrappy W - Super Saamaka (style hip-hop Saamaka).

 

Rickman G-Crew - Je suis un Boni/Aluku (video clip officiel) 2016.

 

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SOMMAIRE
1. Les « premiers temps » des Marrons des Guyanes
2. Culture afro-surinamaise : côte et intérieur
3. La musique dans la vie traditionnelle des Marrons
4. Étude de cas. Booko dei et puu baaka chez les Marrons de l'Est
5. Aleke. Épanouissement d'une musique Marronne néo-traditionnelle
6. Incursions des marrons dans l’univers mondialisé de la musique
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Kenneth Bilby

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2016-2020