4. Étude de cas. Booko dei et puu baaka chez les Marrons de l’Est

Dossier Laméca

Musique Marronne des Guyanes

4. ETUDE DE CAS.
BOOKO DEI ET PUU BAAKA CHEZ LES MARRONS DE L'EST

 

Parmi les manifestations sociales les plus importantes de la vie traditionnelle des Marrons de l’Est, figure une suite complexe de rites funéraires qui sont essentiels à la transition d'un défunt du monde des vivants à celui des ancêtres. Dans le cas des Aluku (dont les traditions sont très similaires à celles des Ndyuka et des Paamaka), ce processus, qui peut durer un an ou plus, commence par une cérémonie appelée booko dei (une forme de premier enterrement) et se termine par une autre appelée puu baaka (une forme de second enterrement aboutissant à la levée de la période de deuil). Ces rites ont toujours rempli une puissante fonction d'intégration dans la vie des Aluku (et celle des Marrons de l'Est en général), activant et reliant des réseaux transversaux de parents de différents villages et matriclans, qui traditionnellement se rassemblent dans le village d'origine du défunt et coopèrent dans une série d’échanges matériels et rituels. Non moins importants que ces rituelles sont les performances simultanées de musique et de danse pour honorer le défunt, sans lesquelles il ne peut pas poursuivre le dernier voyage vers le dede konde (le royaume des morts).

Figure 1. Percussionnistes Aluku sur scène lors d'un festival à Cayenne, Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

Les formes de musique et de danse associées à ces rituels occupent depuis longtemps une place centrale dans la vie sociale des Marrons de l’Est. Ils continuent d'être pratiqués et sont encore essentiels aujourd'hui, en dépit des pressions toujours plus fortes exercées sur les Aluku pour qu'ils s'assimilent aux cultures dominantes des sociétés plus grandes auxquelles ils appartiennent désormais (Guyane française et Suriname, sans oublier la France et la Communauté européenne); il en va de même pour les Ndyuka et Paamaka, dont la plupart sont confrontés à des défis similaires à ceux des citoyens du Suriname. Ces dernières années, l'intégrité de leurs sociétés a été en effet mise à mal par l'émigration massive et les incursions répétées de sociétés multinationales d'exploitation minière et forestière.

Figure 2. Danseur Aluku de songe sur scène lors d'un festival à Cayenne, Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

Booko dei et puu baaka ont généralement une structure musicale définie, utilisant un cycle de genres musicaux et dansés qui sont traditionnellement exécutés dans un ordre précis, l'un après l'autre, du crépuscule à l'aube. Cela commence par le mato (proposant des contes ainsi que de la musique et de la danse), puis le susa, le songe et l'awasa. À certaines occasions, un genre supplémentaire, le mati mangbela, est inséré entre le susa et le songe. Au bout de la nuit, ces genres musicaux et dansés traditionnels peuvent également être complétés par le genre plus moderne aleke. Bien que les cinq genres «funéraires  » traditionnels précités soient fortement associés aux rites de mort, ils peuvent également être exécutés (sans nécessiter tout le cycle) pour un certain nombre d'autres occasions spéciales ou célébrations.

Les Exemples sonores proposés ci-après, tous enregistrés lors de cérémonies réelles dans les villages Aluku, illustrent les cinq genres traditionnels habituellement pratiqués dans les cérémonies booko dei et puu baaka. Ils sont placés ici dans l'ordre traditionnel d’exécution (bien qu'ils aient été enregistrés à différents moments et dans différentes communautés).

Audio 1
"Mato" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby lors d'une cérémonie puu baaka à Komontibo, Guyane française, le 16 novembre 1985.

 

Audio 2
"Susa" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby lors d'une cérémonie puu baaka à Kotika, Suriname, le 21 avril 1984.

 

Audio 3
"Mani Mangbela" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby lors d'une cérémonie puu baaka à Komontibo, Guyane française, le 16 novembre 1985.

 

Audio 4
"Songe" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby lors d'une cérémonie puu baaka à Kotika, Suriname, le 21 avril 1984.

 

Audio 5
"Awasa" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby lors d'une cérémonie du booko dei à Agoode (Boniville), Guyane française, le 2 novembre 1985.

 

Figure 3. Danseuse Aluku de songe sur scène lors d'un festival à Cayenne, en Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

Figure 4. Danseuses Aluku de songe sur scène lors d'un festival à Cayenne, en Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

Figure 5. Danseuses Aluku de songe sur scène lors d'un festival à Cayenne, en Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

 

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SOMMAIRE
1. Les « premiers temps » des Marrons des Guyanes
2. Culture afro-surinamaise : côte et intérieur
3. La musique dans la vie traditionnelle des Marrons
4. Étude de cas. Booko dei et puu baaka chez les Marrons de l'Est
5. Aleke. Épanouissement d'une musique Marronne néo-traditionnelle
6. Incursions des marrons dans l’univers mondialisé de la musique
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Kenneth Bilby

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