3. La musique dans la vie traditionnelle des Marrons

Dossier Laméca

Musique Marronne des Guyanes

3. LA MUSIQUE DANS LA VIE TRADITIONNELLE DES MARRONS

 

Figure 1. Pikin doon Aluku (« petit tambour ») fabriqué par Ba Tonkoli (Toncoli Blakaman), Komontibo, Guyane française (1986). Photo : Kenneth Bilby

Figure 2. Ba Dakan jouant le tambour pikin doon Aluku, Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane française (1987).
Photo : Kenneth Bilby

Les cultures musicales traditionnelles des six groupes ethniques Marrons des Guyanes (Saamaka, Ndyuka, Matawai, Aluku, Paamaka et Kwinti) sont très similaires dans leurs grandes lignes, cependant chacune présente des caractéristiques propres. Les Marrons peuvent être divisés en deux zones culturelles et linguistiques principales : d’un côté, le groupe oriental (Ndyuka, Paamaka et Aluku), dont les villages traditionnels sont dispersés le long des fleuves Maroni, Tapanahoni et Cottica, près de la frontière avec la Guyane française ; de l’autre, le groupe central (Saamaka et Matawai), dont les territoires sont situés le long du fleuve Suriname et dans d'autres régions de la partie centrale du Suriname. Les Kwinti se situent culturellement entre les deux. Les différences musicales les plus importantes entre les groupes Marrons correspondent à cette division. Les traditions musicales des Ndyuka, Paamaka et Aluku, qui sont à bien des égards presque identiques, se distinguent facilement de celles des Saamaka et des Matawai.

Figure 3. Jeune homme Aluku jouant du gaan doon (« grand tambour ») sur scène lors d'un festival à Cayenne, Guyane française (2007).
Photo : Kenneth Bilby

Tous les groupes Marrons ont des cultures musicales traditionnelles très riches et variées. La percussion et la danse (d’influence africaine) jouent un rôle de premier plan dans la vie musicale de toutes les communautés, même si les types de tambours varient, tout comme les genres musicaux et dansés. Les songe, susa et awasa, par exemple, sont considérés comme des genres typiquement orientaux, tandis que les sêkêti et bandámmba sont spécifiquement associés aux Saamaka. Certains genres, comme les kumanti (komantí), papa (appelé aussi vodu) ou ampuku (apúku), avec leur caractéristique clairement religieuse ou spirituelle, sont utilisés principalement pour obia pee (cérémonies tenues pour invoquer des dieux ou esprits spécifiques). Les plus importants des genres « profanes » sont parfois exécutés dans les rituels funéraires (tels les mato, susa, songe et awasa pour les groupes Marrons orientaux et l’adunké pour les Saamaka). Un certain nombre de genres généralement associés aux jeunes Marrons et à des danses sociales moins formelles, comme l'aleke - bien que ceux-ci puissent également être parfois exécutées lors d'événements cérémoniels.

 Audio 1
"Songe" (Ndyuka) enregistré par Kenneth Bilby à Diitabiki, Suriname, le 9 décembre 1991.

 

Audio 2
"Susa" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby à Loka, Guyane française, le 26 octobre 1985.

 

Audio 3
"Awasa" (Ndyuka) enregistré par Kenneth Bilby à Diitabiki, Suriname, 9 décembre 1991.

Figure 4. Hommes Aluku dansant le kumanti et utilisant des machettes pour tester la protection corporelle conférée par les pouvoirs spirituels de la tradition kumanti, Cayenne, Guyane française (1989).
Photo : Henri Griffit

 

Audio 4
"Papa" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby à Papaïchton, Guyane française, le 27 juin 1986.

 

Audio 5
"Kwadyo" (Aluku) enregistré par Kenneth Bilby à Komontibo, Guyane française, le 12 novembre 1985.
 
Les traditions musicales des Marrons des Guyanes sont généralement considérées par les chercheurs comme étant parmi les plus africaines de tout l'hémisphère occidental. La plupart des genres musicaux et dansés traditionnels Marrons présentent peu ou pas d'influence européenne. Bien qu'aucune de ces traditions ne puisse être reliée entièrement ou directement à une seule source africaine, de nombreux éléments peuvent être associés de manière plus générale à des zones ethnolinguistiques particulières du continent africain. Par exemple, le tambour kumanti est clairement lié à certaines traditions de percussion encore importantes dans les régions de langue Akan d'Afrique de l'Ouest (des parties du Ghana et de la Côte d'Ivoire). Et les chants kumanti sont dans une langue ésotérique dérivée en grande partie de langues appartenant au groupe Akan. De même, la percussion et le chant papa (ou vodu) dérivent en grande partie des traditions musicales et des langues des peuples de l'Afrique de l'Ouest qui sont aujourd'hui classés par les linguistes comme locuteurs des langues de la famille Fongbe (par exemple, Ewe et Fon). En revanche, le genre « profane » appelé susa est clairement lié aux traditions centrafricaines de la région du Kongo-Angola. Pour autant, tous ces genres Marrons intègrent également des éléments musicaux et culturels d'autres parties de l'Afrique. Il en va de même pour les instruments de musique liés à ces genres. Les trois tambours utilisés dans la majorité des genres de musicaux et dansés des Marrons de l'Est présentent une technologie de conception et d'accordage répandue en Afrique de l’Ouest. D'autres tambours utilisés dans divers autres genres, à la fois chez les Marrons de l'Est et du Centre, ont des conceptions et des mécanismes d'accord particuliers qui indiquent une origine plus au sud, dans ce qui est aujourd'hui le sud-est du Nigéria et du Cameroun (par exemple, le deindein des Saamaka, ou certaines variantes du tambour agida utilisé dans les cérémonies papa gadu des Ndyuka et Saamaka).

Lien vers les fichiers sonores associés à l’ouvrage "Travels with Tooy. History, Memory, and the African American Imagination" de Richard Price (University of Chicago Press, 2007) : www.press.uchicago.edu/books/price/

 

Audio 6
"Komantí" (Saamaka) enregistré par Kenneth Bilby à Asindóópo, Suriname, le 5 décembre 1991.

 

Kumanti - Dja Dja Okifulu.

 

Audio 7
"Apúku" (Saamaka) enregistré par Kenneth Bilby à Asindóópo, Suriname, le 5 décembre 1991.

 

Audio 8
"Sêkêti" (Saamaka) enregistré par Kenneth Bilby à Akísiamau, Suriname, le 4 décembre 1991.

 

Audio 9
"Bandámmba" (Saamaka) enregistré par Kenneth Bilby à Akísiamau, Suriname, le 3 décembre 1991.

La musique comme les autres arts Marrons se caractérise par un dynamisme historique. Si les genres et les instruments qui viennent d'être mentionnés existent depuis au moins le 18e siècle, d'autres traditions musicales Marronnes sont apparues beaucoup plus récemment. La plus importante d'entre elle est l'aleke, qui a émergé au cours des années 1950 chez les Marrons de l'Est. Cependant, même les traditions musicales les plus conservatrices, y compris celles étroitement liées à la vie religieuse dans les villages de l'intérieur, intègrent des innovations et subissent des changements subtils au fil du temps. Dans le même temps, des genres plus jeunes et se considérant «modernes», comme l'aleke, demeurent profondément ancrés dans la tradition. En dépit de leur grande ouverture au changement, ils continuent d'être influencés par des styles plus anciens et d'incorporer des éléments de la musique traditionnelle Marronne. Phénomène qui touche aussi les genres les plus conservateurs comme les kumanti et papa. Jusqu'à présent, dans la musique aleke, aucune tendance n'a dominé l'autre.

Une caractéristique importante partagée par tous les groupes Marrons est que la vie musicale dans les villages traditionnels est très étroitement intégrée à la vie sociale en général. En fait, certains événements cruciaux dans la vie du village ne peuvent avoir lieu sans la musique et la danse appropriées. Pour invoquer certains dieux ou esprits (par exemple, kumanti gadu, vodu gadu ou ampuku gadu), la bonne musique doit être utilisée. Les grandes réunions du conseil (kuutu) et l'arrivée du chef suprême (gaanman) doivent être annoncés dans une langue tambourinée spécifique appelée apinti tongo, de même que tous les décès dans la communauté. Les rites funéraires qui permettent la transition réussie d'un membre décédé de la communauté du monde des vivants vers celui des ancêtres, ce qui peut prendre un an ou plus, nécessitent une musique et une danse également appropriées.

Musique des Marrons (Smithsonian).

 

Conte, chant et danse avec la compagnie Kifoko du Suriname.

 

Afoly Djawle (Best of Awassa).

 

Awassa Dansi.

 

Festival Awassa, Saint-du-Laurent-du-Maroni, Guyane française.

 

Saramaca chantant et dansant.

 

Enregistrements de terrain Ndyuka réalisé par Verna Gillis et David Perez, Suriname, 1977 (partie 1 sur 4).

 

Enregistrements de terrain Ndyuka réalisé par Verna Gillis et David Perez, Suriname, 1977 (partie 2 sur 4).

 

Enregistrements de terrain Ndyuka réalisé par Verna Gillis et David Perez, Suriname, 1977 (partie 3 sur 4).

 

Enregistrements de terrain Ndyuka réalisé par Verna Gillis et David Perez, Suriname, 1977 (partie 4 sur 4).

 

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SOMMAIRE
1. Les « premiers temps » des Marrons des Guyanes
2. Culture afro-surinamaise : côte et intérieur
3. La musique dans la vie traditionnelle des Marrons
4. Étude de cas. Booko dei et puu baaka chez les Marrons de l'Est
5. Aleke. Épanouissement d'une musique Marronne néo-traditionnelle
6. Incursions des marrons dans l’univers mondialisé de la musique
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Kenneth Bilby

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