3-L’âge d’or de la biguine (1931-1939)

Dossier Laméca

LA BIGUINE À PARIS

3. L’AGE D’OR DE LA BIGUINE (1931-1939)

 

L’Exposition Coloniale ferme ses portes le 15 novembre 1931 mais son impact perdurera des années. Les Français ont redécouvert les Antilles, leurs plus vieilles colonies, dans une mise en scène bien critiquable il est vrai. Mais les Antillais vivant en France en retireront une part de bénéfice et notamment un nouveau regard de la population, voire un certain prestige. Il suffit de constater le nombre de musiciens guadeloupéens et martiniquais qui ont épousé une Métropolitaine à cette époque.

Affiche publicitaire de la Cabane Bambou (42, rue Fontaine, Paris 9ème).

L’effet le plus visible est l’engouement pour la biguine et l’ouverture de nouveaux cabarets antillais. On note aussi à cette époque une plus forte présence des Antilles dans la vie sociale et mondaine, soirées de gala, œuvres de bienfaisance, ainsi que dans les films, les spectacles musicaux et dans la production littéraire, romans ou ouvrages historiques.

Le succès des bals et cabarets antillais

Dans le sillage de l’Exposition, de nombreux cabarets antillais ou exotiques voient le jour à Paris au début des années trente, principalement aux alentours de Montparnasse : La Jungle, la Boule Blanche, les Antilles, le Jockey, le Tagada puis le Madinina Biguine, le Pélican Blanc, le Train Bleu, l’Élan Noir, le Mirage, la Savane… mais aussi dans le quartier de Pigalle comme la "Cabane Bambou" rue Fontaine, devenue plus tard "la Cabane Cubaine".

La clientèle du Madinina Biguine, le cabaret de Stellio, en 1932.

Une clientèle bigarrée fréquente ces lieux, sans distinction de classe ou de couleur, se retrouvant sur la piste dans une joyeuse ambiance pour danser la biguine.

La province n’est pas en reste car des imprésarios organisent des tournées pour les orchestres de l’Exposition. Ainsi, Sam Castendet partira jouer en 1932 au "Agada-Biguine" à Bordeaux puis au "Massilia" à Toulouse avant de faire une tournée de trois mois dans le sud-ouest de la France.

 

De nouveaux orchestres créoles

Les premiers orchestres en place à Paris avant 1931 ne suffisent plus. Beaucoup de musiciens antillais deviennent alors chefs d’orchestre pour satisfaire à la demande avec leurs propres formations. D’autres musiciens, aspirés par la mode de la biguine, arrivent des Antilles comme le jeune clarinettiste martiniquais Eugène Delouche, engagé à la Boule Blanche depuis Paris.

Le premier orchestre guadeloupéen, le "Tommy’s Jazz" des frères Martial, débarque le jour de la fermeture de l’Exposition. Après la mort du pianiste Tom, le groupe prendra le nom de "Karukera Boys" et ira jouer un an en 1934 au "Cygne" de Marseille avant de se disperser. Le batteur Paul Delvi, Louisianais d’ascendance martiniquaise, forme un ensemble qui se produit entre 1932 et 1934 à Paris et en province. Le batteur guadeloupéen André Matou intitule son orchestre "Matou et ses Chats Noirs", avec Abel Beauregard et Gilbert Bathuel. Le clarinettiste Alexandre Kindou arrive de Pointe-à-Pitre en 1932 et joue d’abord à "La Savane" de Paris. Il repart au pays en 1933 après être resté plusieurs mois au "Palais Cristal" de Metz. Le chanteur et compositeur guadeloupéen Sosso Pé-en-Kin vient à Paris en 1937. Il constitue un orchestre qui passe au Blomet et anime les bals de l’association "La Solidarité Antillaise" de Victor Légitimus, fils du député.

 

1935 : Le tricentenaire du rattachement des Antilles à la France

Dès 1933, un comité est constitué par Henry Béranger, sénateur de la Guadeloupe, Alcide Delmont et Marcel Olivier, respectivement député et gouverneur général de la Martinique, pour organiser en 1935, tant à Paris qu’aux Antilles, une manifestation de prestige en l’honneur des vieilles colonies. Des fêtes sont données durant plusieurs mois en Martinique et en Guadeloupe.

Le point culminant de la célébration est la grande nuit antillaise qui a lieu le jeudi 14 novembre 1935 à l’Opéra de Paris, en présence du Président de la République Albert Lebrun. Sur la scène du Palais Garnier passent tour à tour le poète Daniel Thaly, la cantatrice Maïotte Almaby, puis trente jeunes filles en costume traditionnel dans un quadrille suivi d’une démonstration de biguine par une danseuse, le tout au son de l’orchestre de Stellio. La nuit se termine par un grand bal animé par huit orchestres dont ceux de Stellio et de Félix Valvert.

Le bal des Antilles à l’Opéra de Paris (jeudi 14 novembre 1935).

Dans le prolongement de cette manifestation, Stellio fait en 1936 une tournée en province, au cours de laquelle il présente son ballet de danseuses dans le fameux quadrille chorégraphié par le capitaine de marine guyanais Gabriel Bureau.

 

L’Exposition Internationale de 1937

Le 24 mai 1937, dans tout le secteur du Trocadéro et du Champ de Mars, s’ouvre l'Exposition Internationale des Arts et Techniques à Paris, décidée et programmée en 1934.

C'est au Centre des Colonies et Dépendances d'Outre-Mer situé sur l'île des Cygnes, que jouent les orchestres de Roger Fanfant et d’Alexandre Stellio, le premier au Pavillon de la Guadeloupe et le second au "Bar des Îles". Au Pavillon des Oiseaux, où la couturière Jeanne Lanvin présente sa collection, l'ambiance musicale est donnée par la petite formation du violoniste de jazz américain Eddie South comprenant le contrebassiste et poète guyanais Paul Cordonnié. L’orchestre guadeloupéen de Roger Fanfant, remarqué tant pour son originalité que pour la variété de son répertoire, sera filmé par les Actualités Gaumont et le reportage passera durant plusieurs semaines dans les salles de cinéma de toute la France.

La Guadeloupe à l’Île de Cygnes, Paris 1937.

 

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SOMMAIRE
1. Les précurseurs (avant 1929)
2. Stellio et l'exposition coloniale (1929-1931)
3. L'âge d'or de la biguine (1931-1939)
4. Paris, melting-pot musical caribéen
5. L'occupation et le jazz (1940-1944)
6. Le nouvel essor de la biguine (après 1944)
7. Evolution et modernisation d'un style
8. Figures musicales de la Guadeloupe
9. Figures musicales de la Martinique
10. La biguine et le disque 78 tours
11. Bibliographie - Discographie

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par Jean-Pierre Meunier
Iconographie : collection J-P Meunier

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2005