9-Figures musicales de la Martinique

Dossier Laméca

LA BIGUINE À PARIS

9. Figures musicales de la Martinique

 

LÉONA GABRIEL SOÏME (1891-1971)

Léona Gabriel est née à Rivière-Pilote en Martinique le 9 juin 1891 dans une famille de commerçants. Orpheline à 14 ans, elle part vivre en Guyane avec sa tante et ses trois soeurs. De 1908 à 1912, elle participe à la vie musicale de Cayenne animée par le clarinettiste Stellio. À sa majorité, elle est engagée comme secrétaire à la Société du Canal de Panama. Revenue quelques années plus tard à la Martinique, Léona séduit par son talent de chanteuse populaire.

Après sa rupture avec un riche usinier de l’Île, elle émigre à Paris au début des années vingt. En 1925, elle y rencontre Léo Daniderff, auteur compositeur de variétés françaises qui la lance dans la chanson (passages à l’Olympia de 1926 à 1929). Elle l’épouse en 1928 mais divorce en 1931. De mai à novembre 1931, Léona Gabriel est la chanteuse de Stellio à l’Exposition Coloniale du Bois de Vincennes.

Elle enregistre avec lui de nombreux disques 78 tours, puis sous le pseudonyme de Mademoiselle Estrella avec le clarinettiste guadeloupéen d’origine guyanaise Alexandre Kindou en 1932. Elle devient une figure du Montparnasse nocturne où sa voix gouailleuse se fait entendre dans les plus célèbres cabarets antillais: la Boule Blanche, le Tagada, l’Élan Noir, la Savane…

En 1935, Léona Gabriel épouse un médecin militaire, Norbert Soïme. Elle le suit durant deux ans au Sénégal puis ils reviennent à Paris. En 1948, le couple retourne vivre à la Martinique. Léona continue de chanter avec des musiciens locaux et elle anime une émission radiophonique dédiée à la musique traditionnelle. En 1966, elle publie un recueil de souvenirs “Ça c'est la Martinique !” rassemblant pas moins de 100 chansons du folklore ou de sa composition.

Le 11 août 1971, âgée de 80 ans, elle s’éteint à Fort-de-France après avoir contribué à la transmission de tout un pan du patrimoine musical de Saint-Pierre.

 

ERNEST LÉARDÉE (1896-1988)

Issu du petit peuple de Fort-de-France, Ernest Léardée perd sa mère à 6 ans et son père à 9 ans. Il est élevé par sa sœur Yaya et pratique très tôt toutes sortes de petits métiers. Un menuisier, Marius Collat, l’initie à la musique et lui apprend le violon. Le jeune garçon ne tarde pas à l’accompagner dans les bals de la Martinique. Léardée devient apprenti coiffeur tout en continuant de jouer du violon dans l’orchestre de Léon Apanon. Il gagne bientôt suffisamment d’argent pour se mettre à son compte.

En 1919, Stellio arrive de Guyane et l’engage pour jouer avec lui au Cinéma Gaumont de Fort-de-France. En avril 1929, c’est le départ pour Paris. Mais Léardée quitte bientôt Stellio pour former son propre orchestre au Bal Blomet. Il grave ses premiers disques en 1930 chez Salabert. Il délaisse alors le violon pour se mettre à la clarinette et au saxophone ténor. Il ouvre successivement plusieurs cabarets à Paris (l’Élan Noir, le Mirage…).

En février 1938, il part en tournée en Allemagne, en Autriche et en Hongrie. En mai 1940, il se trouve à Lille quand les Allemands envahissent la France. Il se retire dans l’Yonne durant les quatre années de l’Occupation. Dès la Libération, Ernest Léardée reprend son activité musicale comme chef d’orchestre dans de multiples cabarets parisiens, dancings des bords de Marne, bals de province, stations balnéaires en période estivale…

Dans les années 50 et 60, il participe à la vogue des nouveaux rythmes cubains et latino-américains : cha cha cha, mambo, baïon, samba, guaracha, rampa… dont il enregistre plusieurs disques. Il prend sa retraite en 1970 à Fontenay-sous-Bois où il décède en avril 1988. Ernest Léardée a aussi dirigé un casino à Saint-Pair-sur-Mer, il a fondé une édition musicale, il est l’interprète d’une publicité télévisée pour une marque de riz, et il a laissé à la SACEM plus de trois cents compositions.

 

SAM CASTENDET (1906-1993)

Samuel Sabinus Castendet est né le 30 décembre 1906 à Sainte-Marie, Martinique. Il apprend seul à jouer de la clarinette et vient à Paris en 1924 pour y travailler comme mécanicien dans l’aviation.

Son destin change en octobre 1931 quand on lui propose de remplacer Alexandre Stellio durant les trois dernières semaines de l’Exposition Coloniale. Dès lors, sa vie sera guidée par la musique. Sam Castendet joue dans les cabarets antillais de Paris puis part début 1932 pour une longue tournée dans le sud de la France et en Suisse. En 1935, il dirige l’orchestre du dancing "Le Mikado" à Paris et joue au grand hôtel Normandy du Touquet en 1936. Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il s’évade et revient à Paris où il reprend son activité de musicien, notamment à la brasserie de la Cigale.

Après la guerre, Sam Castendet anime de 1946 à 1951 le cabaret de La Canne à Sucre à Montparnasse avec Al Lirvat au trombone et Maurice Noiran à la clarinette. À partir de 1950, il enregistre en exclusivité pour la marque Columbia. En 1952, il dirige durant un an son propre cabaret "Le Fort-de-France", rue Molière à Paris. En 1954, c’est une tournée triomphale en Afrique. En 1956, il joue pour le roi Farouk d’Égypte. En 1959, 1960 et 1961, Sam Castendet anime avec Barel Coppet le carnaval de Fort-de-France.

Il se retire de la musique en 1965 pour devenir chauffeur dans un ministère. À partir de 1980, Sam Castendet passe une retraite discrète à La Rochelle. Il s’éteindra le 18 janvier 1993 à la Martinique, quelques mois après un accident cérébral lors d’un séjour dans son île natale. Sam Castendet a marqué les années cinquante en enregistrant des succès populaires immortels en disques 78 tours.

 

EUGÈNE DELOUCHE (1909-1975)

Eugène Passion Delouche est né le 28 mars 1909 dans la commune du Marigot (anciennement Fonds d’Or). Il étudie à l’école des Arts et Métiers de Fort-de-France et commence à travailler comme dessinateur chez son père, architecte à la Martinique.

Très jeune, il a l’amour de la musique et apprend le violon dans l’orchestre philharmonique "L’Aurore" dirigé par Daniel Danjou. Mais il adopte bientôt la clarinette après avoir entendu Stellio qui devient son modèle. Quand celui-ci partira à Paris, fin avril 1929, il lui succèdera au Cinéma Gaumont de Fort-de-France. Et c’est Stellio qui le fera venir à Paris en octobre 1931 pour le remplacer durant un an à La Boule Blanche. Delouche joue ensuite en Tunisie puis à Rome.

En 1935, il est à la Martinique pour les fêtes du Tricentenaire. De retour à Paris fin 1935, il se met au saxophone et s’intéresse au jazz sans abandonner pour autant la biguine. Durant la guerre, en marge de la musique, il travaille comme ouvrier spécialisé chez un facteur d’orgues réputé. Il reprend son activité de musicien à plein temps après la Libération.

En 1951, Eugène Delouche crée RITMO, sa propre marque de disques 78 tours. Il est à nouveau aux Antilles pour le carnaval 1953. À sa mort, survenue à Paris le 9 août 1975 à l’âge de 66 ans, il exerçait le métier de chauffeur de taxi.

Eugène Delouche nous a laissé une abondante production phonographique, étalée de 1932 à 1953, comparable en importance à celle de Stellio. Avec son orchestre "Del’s Jazz Biguine", comprenant le guitariste Pollo Malahel et le pianiste martiniquais René Léopold, il a enregistré quelques purs joyaux de la biguine. Il est aussi le compositeur de nombreux chefs d’œuvres de la valse antillaise, genre dont il s’était fait une spécialité.

 

HONORÉ COPPET (1910-1990)

Honoré Coppet est né au Vauclin dans une famille de 7 enfants, tous doués pour la musique. Il apprend d’abord la flûte, puis la clarinette grâce à un oncle qui exploitait un manège de chevaux de bois. Il commence à se produire professionnellement à Fort-de-France dans l’orchestre du tromboniste Archange Saint-Hilaire qui l’aide à retrouver le style de clarinette de Stellio.

En 1935, Honoré joue dans le "Caraïb’s Jazz" de Frantz Blérald lors des fêtes du Tricentenaire à Fort-de-France. Après la fin de la guerre, il anime un bal réputé dans le quartier des Terres-Sainville, avec son frère cadet Barel Coppet au saxophone. Leur orchestre obtient un vif succès lors du carnaval 1947, ce qui les décide à tenter leur chance à Paris où ils arrivent ensemble en avril 1947. En compagnie du tromboniste Pierre Rassin et du pianiste Louis Jean-Alphonse, ils trouvent leur premier engagement à "La Boule d’Or", un bal antillais du 15ème arrondissement. Honoré Coppet travaille ensuite au Bal Blomet durant trois ans, période au cours de laquelle il grave ses premiers disques.

En mars 1950, il est engagé aux "Triolets Antillais", rue de Montreuil, puis il anime un autre bal antillais : "Le Bikini", avenue du Maine. En 1958, on lui propose la direction d’un orchestre en Afrique. Honoré Coppet y séjournera 10 ans, d’abord en Guinée où il crée une école de musique puis à Dakar au Sénégal où il joue dans un cabaret-dancing nommé "Le CFA". Revenu à la Martinique en janvier 1969, il y enseignera la musique jusqu’à sa mort survenue le 20 mars 1990.

Figure emblématique de la clarinette créole, Honoré Coppet est par son éloquence, son lyrisme, sa sonorité incisive à fleur de peau, l’un des plus proches disciples de Stellio.

 

MAURICE NOIRAN (1912-1978)

Maurice Noiran est initié à la clarinette à l’âge de quinze ans par un vétéran, Marcel Clodomir. Émule de Stellio, il acquiert rapidement la pleine maîtrise du style traditionnel martiniquais.

À la fin de l’année 1928, à la mort de ses parents, il part en Guadeloupe, décidé à faire son métier de la musique. Maurice Noiran joue pendant deux ans dans l’orchestre de Roger Fanfant puis il intègre l’orchestre "Tommy’s Jazz" des frères Martial avec lesquels il arrive à Paris en novembre 1931. Dans les premiers mois de 1932, il se produit à la Boule Blanche en alternance avec Stellio puis il s’arrête un an pour faire son service militaire. Il réintègre ensuite l’orchestre dont Claude Martial avait pris la direction après la mort de son frère Tom.

À partir de 1935, Noiran est un régulier du Bal Blomet et il enregistre plusieurs disques avec le pianiste martiniquais Louis Jean-Alphonse. Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il passera près de cinq années en captivité. À la Libération, il reprend sa place de musicien au Bal Blomet avec Jean-Alphonse avant d’être engagé en 1946 dans l’orchestre de Sam Castendet, à la "Canne à Sucre" puis au "Fort-de-France", jusqu’en 1952. Maurice Noiran était aussi un habile saxophoniste ténor qui fit partie de l’orchestre de jazz du trompettiste américain Jack Butler à La Cigale en 1953-54, et de l’orchestre cubain d’Oscar Calle de 1954 jusqu’au début des années 60.

Clarinettiste bouleversant par son expressivité, la sensibilité de ses nuances et sa magnifique sonorité, c’est Noiran qui répond au trombone d’Al Lirvat dans la plupart des disques d’Alphonso. Victime d’un malaise à son domicile, Maurice Noiran fut retrouvé mort au bout de plusieurs jours dans l’appartement où il vivait seul à Paris.

 

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SOMMAIRE
1. Les précurseurs (avant 1929)
2. Stellio et l'exposition coloniale (1929-1931)
3. L'âge d'or de la biguine (1931-1939)
4. Paris, melting-pot musical caribéen
5. L'occupation et le jazz (1940-1944)
6. Le nouvel essor de la biguine (après 1944)
7. Evolution et modernisation d'un style
8. Figures musicales de la Guadeloupe
9. Figures musicales de la Martinique
10. La biguine et le disque 78 tours
11. Bibliographie - Discographie

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Par Jean-Pierre Meunier
Iconographie : collection J-P Meunier

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2005