6-Le nouvel essor de la biguine (après 1944)

Dossier Laméca

LA BIGUINE À PARIS

6. LE NOUVEL ESSOR DE LA BIGUINE (après 1944)

 

Lorsque Paris est libérée, le 25 août 1944, la liesse populaire se donne libre cours et les Français sont gagnés d'une nouvelle fureur de vivre. En quelques semaines, de nombreux bals, dancings et cabarets font leur réouverture. Beaucoup de musiciens antillais restés à l’écart durant l’Occupation profiteront de cette nouvelle chance de revenir sur le devant de la scène. Les Antilles, gouvernées par l’Amiral Robert, étaient restées coupées de la France durant cinq années. La fin de la guerre permet à une nouvelle vague de musiciens antillais de venir faire carrière à Paris.

 

Les Antilles françaises à "La Canne à Sucre"

C’est en décembre 1944 qu’un couple de métropolitains associés au Martiniquais Charles Kennibol ouvrent à Montparnasse "La Canne à Sucre", bar-restaurant tout d’abord puis cabaret à partir de juillet 1945.

Ce lieu légendaire, auquel le nom de Moune de Rivel est attaché depuis le début, sera pendant plus de 50 ans l’ambassade des Antilles à Paris. S’y succéderont les orchestres de Pierre Louiss (1945-46), Ernest Léardée (septembre-octobre 1946), Sam Castendet (novembre 1946 - novembre 1951), Emmanuel Jude (1951-54). Puis l’animation du cabaret sera reprise durant des années par Gérard La Viny.

L’orchestre de la Canne à Sucre en 1950 : Robert Roch (b), Albert Lirvat (tb), Maurice Noiran (cl), Kenn (p), Sam Castendet (dir, dm).

On y entendra des orchestres sous la direction ou avec la participation de Robert Mavounzy, Émilien Antile, Sylvio Siobud, puis Albert Lirvat, Barel Coppet, Jacky Bamboo, Clotaire Marboeuf, Harry Gatibelza… pour ne citer que ceux-là.

La Canne à Sucre est aussi le lieu où arrivent à Paris les nouvelles danses de la Caraïbe. Ainsi, en décembre 1955, y présente-t-on pour la première fois le merengue, rythme qui fait fureur outre-Atlantique. C’est à la Canne à Sucre aussi que seront lancés le calypso et la danse du limbo.

 

Les nouveaux arrivants

Gilles Sala.

Entre 1944 et 1950 arrivent à Paris les Martiniquais : Honoré et Barel Coppet (1947) qui seront pendant des années les clarinettistes du Bal Blomet, le clarinettiste Eugène Dorent (vers 1946) qui jouera avec Alphonso avant de former son propre orchestre, le saxo soprano José Benjamin (1950) dont l’orchestre se partagera entre cabarets parisiens et tournées à l’étranger, le tromboniste Pierre Rassin, les Guadeloupéens : Édouard Pajaniandy (1945) qui sera saxophoniste chez Don Barreto puis tournera avec son orchestre dans les casinos de France, le clarinettiste Louis Mogère (1944) qui animera les bals antillais de Paris et de province, les chanteurs Gilles Sala (1947) dont le charme créole séduira autant les métropolitains que ses compatriotes, et Gérard La Viny (1950) qui sera remarqué par Boris Vian et enregistrera sous son égide de nombreux bijoux de tendresse ou d’humour acéré.

Gérard La Viny.

 

Principaux orchestres franco-antillais de l'après-guerre

Dans les mois qui suivent la Libération, les orchestres de danse se reforment et jouent dans de multiples lieux comme "Le Potomac Club" (Ernest Léardée, Pierre Louiss), "Chez Mimi Pinson" (Félix Valvert), "La Cigale" (Sam Castendet), "La Coupole" (Félix Valvert), le dancing "Chez Maxe" sur les bords de Marne (Ernest Léardée), "La Villa d’Este" et le "Pavillon d’Armenonville" (Sam Castendet)… On y voit souvent des soldats Américains.

Le Bal Blomet rouvre ses portes et l’on y retrouve le pianiste Louis Jean-Alphonse alias Alphonso avec le clarinettiste Michel Berté, bientôt suivi de Loulou Mogère puis Honoré Coppet. Les orchestres antillais participent à de nombreux galas de bienfaisance au profit des déportés et des anciens prisonniers de guerre. Tout au long des années cinquante, la biguine se dansera encore au "Bikini" (Eugène Dorent, Honoré Coppet), aux "Triolets Antillais" (Louis Mogère), au "Caraïbe" (Marcel Clodomir)… sans compter les nombreux bals d’associations dans les mairies de Paris.

La Cigale, près de Pigalle, reste le fief du jazz antillais. Al Lirvat, classé premier trombone français en 1945, en sera le chef d’orchestre durant 5 ans à partir de 1955.

Orchestre Al Lirvat à la Cigale en 1961 : Robert Joseph (dm), René James (b), Émilien Antile (as), Pierrot Jean-Louis (p), Al Lirvat (tb).

Les années cinquante voient aussi l’essor des nouvelles danses afro-cubaines et latino-américaines : mambo, cha cha cha, baïon… Ernest Léardée en sera l'un des artisans les plus actifs. Le merengue trouve son succès avec les disques volcaniques gravés en 1955 par les orchestres de Gérard La Viny et de Barel Coppet.

Orchestre de merengue de Barel Coppet (1956). En haut : Bayard Coppet (dm), Germain Jallier (tumba), Auguste Nabajoth (guiro, voc), Pierre Chonchon (b), Mme Troubadour (p), Pierre Rassin (tb). En bas : Edmar Gob (ts), Roland Paterne (g), Barel Coppet (cl), Honoré Coppet (as).

Quant à la biguine, durant les années cinquante et soixante, elle est popularisée dans les bals du samedi soir de la France entière par l’orchestre d’Alphonso et ses Antillais. Sans oublier l’orchestre de Pierre Louiss qui, de 1947 à 1963, avec Barel Coppet jusqu’en 1949, jouera dans les grands hôtels de France, de Suisse, du Danemark, du Maroc… avant d’animer les casinos des grandes stations balnéaires françaises.

Félix Valvert, après avoir quitté La Coupole fin 1946, ne tardera pas à partir pour de longues tournées à l’étranger, principalement dans les pays scandinaves, jusqu’en 1962.

 

______________________________________

SOMMAIRE
1. Les précurseurs (avant 1929)
2. Stellio et l'exposition coloniale (1929-1931)
3. L'âge d'or de la biguine (1931-1939)
4. Paris, melting-pot musical caribéen
5. L'occupation et le jazz (1940-1944)
6. Le nouvel essor de la biguine (après 1944)
7. Evolution et modernisation d'un style
8. Figures musicales de la Guadeloupe
9. Figures musicales de la Martinique
10. La biguine et le disque 78 tours
11. Bibliographie - Discographie

______________________________________

Par Jean-Pierre Meunier
Iconographie : collection J-P Meunier

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2005