4. Le toque de santo, rite public Lucumí

Dossier Laméca

La musique de la Santería à Cuba

4. LE TOQUE DE SANTO, RITE PUBLIC LUCUMÍ

 

Un toque de santo est constitué de quatre phases qui sont définies et structurées par la performance musicale. Chaque phase est caractérisée par un objectif unique et une manière de jouer, ainsi que par différents niveaux d'implication des participants et de changements des positions respectives dans l'espace entre les musiciens professionnels, la congrégation et l'autel qui a été érigé pour l'orisha.

Le maître tambourinaire Angel Bolaños chez lui à La Havane.
Photo : Kenneth Schweitzer

La première phase, appelée familièrement oro seco et plus formellement oro igbodú, marque le début officiel du toque de santo et fait rentrer la cérémonie dans un espace et un temps sacrés. Le nom familier suggère que le tambour joue sans accompagnement vocal, et qu'il est donc seco (sec). Le titre formel se réfère à la relation spatiale : les tambourinaires se disposent de façon à faire face à l'autel situé dans le igbodú (chambre sacrée). Là, ils jouent, dans l'ordre, une suite de toques (rythmes) appelés oro, ce qui inclut un ou plusieurs toques pour chacun des vingt-deux orisha suivants : Eleguá, Ogún, Ochosi, Inle, Babalú Ayé, Osain, Osun, Obatalá, Dadá, Ogué, Oke, Agayú, Orula, Orisha Oko, Ibedyi, Changó, Yewá, Oyá, Ochún, Yemayá, Oba, et Odudua. Un oro seco dure généralement de trente à soixante minutes.

“Los Guerreros” (2007) par  David Font, Kenneth Schweitzer (l'auteur de ce dossier) et Mark Merrella

L’ensemble batá “Aña Tola” dans un toque de santo.
Photo : Kenneth Schweitzer

La deuxième phase est appelée oro cantado (oro chanté) ou oro eyá aranla (oro dans la chambre principale). Au cours de cette phase, les tambourinaires s'installent face à la congrégation qui est ainsi invitée à chanter. Alors que l’oro igbodú offrait aux tambourinaires l'occasion de saluer les orisha, l’oro cantado fournit une occasion similaire aux participants. Une nouvelle fois, les orisha sont loués dans un ordre déterminé. Quand les santeros entendent les chants associés à leur patron orisha, on attend d'eux qu'ils dansent, qu'ils fassent des offrandes pécunières au chanteur et aux tambourinaires, et qu'ils saluent les tambours batá en les embrassant et en les touchant de la tête. L’oro eyá aranla dure généralement entre trente et soixante minutes, mais peut se prolonger bien au-delà.

"Elegguá, Oggún, Ochosi” (1999) par Abbilona - album Elegguá, Oggún, Ochosi

Jesus Lorenzo Peñalver "Cusito", un tambourinaire batá renommé qui est aussi très demandé comme akpwón (chanteur lead).
Photo : Kenneth Schweitzer

Alors que l’oro igbodú et l’oro cantado sont relativement courts et structurés, la troisième phase, appelée wemilere ou iban balo (patio) peut durer plusieurs heures. Parce qu'elle partage l'essentiel de la dynamique d'une fête privée, cette phase ouverte et relativement libre est parfois appelée fiesta. Caractérisé par des intentions plurielles et changeantes, le wemilere loue les orisha, distrait les participants, fournit l'occasion de concours de chant et de tambours, favorise l'éducation rituelle et musicale, et encourage la possession par les esprits. Naviguant constamment entre les attentes changeantes de cette phase de la cérémonie, le maître tambourinaire batá puise dans un répertoire étendu et choisit habilement les toques pour parvenir à l'effet escompté. Il est apprécié non seulement pour sa connaissance du répertoire et sa capacité à saisir l'esprit de chaque toque, mais aussi pour son aptitude à choisir le toque qui conviendra le mieux à l'instant, qui encouragera l'assistance, qui maintiendra et amplifiera le haut niveau d'énergie de la manifestation.

"Kuru Kurubete” (2006) par Lazaro Ros - album Orisha Aye: Osain

Le maître tambourinaire batá et facteur de tambour Juan “El Negro” Raymat.
Photo : Kenneth Schweitzer

La dernière phase du toque de santo est le cierre. Cette courte section est similaire à l'ouverture dans la mesure où elle est jouée sans accompagnement chanté. Elle comporte des saluts aux egun (ancêtres) et aux orisha ayant un lien avec la mort : Oyá, Babalú Ayé, Osain, Yewá, et Yemayá. Pendant le toqué final, un seau d'eau est emmené dans la rue et vidé de son contenu, supposé contenir les énergies spirituelles latentes des événements de la soirée. Le toqué se conclut de manière spectaculaire quand le seau est posé tête en bas devant les tambourinaires. Plusieurs chants accompagnés par les batá sont alors chantés pour Eleguá. En tant qu'orisha qui garde les carrefours et ouvre et ferme toutes les portes, Eleguá est honoré au début et à la fin de la cérémonie. Cela permet d'obtenir sa bénédiction pour la manifestation et garantit que l'ordre naturel est rétabli, ce qui autorise les participants à retourner chez eux en toute sécurité quand la cérémonie se conclut. Cet enchaînement incite également les orisha à mettre fin à leurs possessions et permet à la cérémonie de quitter l'espace et le temps sacrés.

"Tambor de cierre” (1999) par Abbilona - album Oya

 

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SOMMAIRE
1. La religion Lucumí : Santería ou Regla de Ocha
2. Instruments des Lucumí
3. Ilu Aña, les tambours sacrés batá
4. Le toque de santo, rite public Lucumí
5. La musique et la danse Lucumí comme spectacle folklorique
6. Cuba et au-delà, la propagation de la musique Lucumí
Un exemple : le toque chachalokuafun
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Dr Kenneth Schweitzer

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, Washington College, 2008-2018