1. La religion Lucumí : Santería ou Regla de Ocha

Dossier Laméca

La Musique de la Santería à Cuba

1. LA RELIGION LUCUMÍ : SANTERÍA OU REGLA DE OCHA

 

Cuba (en rouge) dans la Caraïbe et dans le monde.
Wikipedia

Dans la première moitié du 19ème siècle, l'économie sucrière en pleine expansion à Cuba fut stimulée par le vide laissé sur le marché mondial par la Révolution haïtienne (1791-1804). Cet essor sucrier entraîna, en partie, une grosse demande d’esclaves africains pour les nombreuses plantations de Cuba. En dépit, à la fois d'un mouvement abolitionniste international croissant et des efforts offensifs de la Marine britannique pour intercepter les négriers illégaux, Cuba continua à importer des captifs africains jusqu'à la date relativement tardive de 1866. Cette demande croissante de travail coïncida avec la désintégration du puissant empire d’Òyó qui s'étendait au Nord-ouest du Nigeria d'aujourd'hui. Entre la violence politique et les incursions européennes, on estime que près de 200 000 descendants de l'empire d’Òyó (qui furent ensuite collectivement connus sous le nom de Yorùbá) furent capturés, vendus comme esclaves et transportés à Cuba. A Cuba, ils furent désignés sous le nom de Lucumí, un mot Yorùbá signifiant "mon ami" ou "mon camarade". En tentant de conserver leurs communautés, leur culture et leur foi religieuse tout en s'adaptant à de nouvelles circonstances, les Lucumí ont formalisé leur culte des orisha dans une pratique particulière à Cuba communément appelée Santería.

L'empire d’Òyó.
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Les orisha sont des esprits dont les personnalités ressemblent à celles des humains, et qui sont associés aux phénomènes de la nature, dont ils assureraient le contrôle. Les orisha sont considérés comme étant à la fois des divinités qui ont existé de tout temps et des humains qui ont été déifiés après leur mort. En plus des orisha, les Lucumí croient à un être suprême omniscient, appelé Olorun, Olofi ou Olodumare, à qui ont rend rarement un culte direct, mais à qui on s'adresse principalement par le biais d'intermédiaires, dont les orisha font partie. Les Lucumí croient que tous les humains ont à la fois une essence divine (appelée orí ou elerí) et un patron orisha qui les guide et les soutient.

Les différents rites et pratiques du culte des orisha en Afrique de l'Ouest sont devenus relativement standardisés à Cuba du fait que la religion a du incorporer les pratiques de divers groupes africains. Les Lucumí étaient menacés de punitions sévères et incités par des récompenses à adopter le catholicisme ; Parallèlement, ils identifiaient des similarités indéniables entre les orisha et les saints catholiques de leurs maîtres. A chaque orisha, les Lucumí associaient un saint qui avait été canonisé pour avoir fait preuve des mêmes qualités, et commencèrent à leur vouer un culte en incorporant les images des saints à leurs propres autels africains. Le terme espagnol Santería (culte des saints) décrit parfaitement ce phénomène du point de vue de la classe dominante d'origine espagnole, mais est souvent considéré comme péjoratif par les Lucumí qui préfèrent utiliser les expressions, religion lucumí, religion Yoruba, et Regla de Ocha (Loi de l'Ocha, une contraction du mot orisha). Bien qu'il y ait différents stades et différents types d'initiation rituelle (comme recevoir eleke, des colliers de perles consacrés), une des étapes les plus significatives est appelée "faire ocha", "faire santo", "kariocha", ou "asiento", et consiste à installer rituellement le patron orisha à l'intérieur de sa tête.

Eleguá est associé au saint Catholique El Niño de Atocha. Notez le collier de perles noires et rouges d’Eleguá qui drape la statuette du saint.
Photo : Kenneth Schweitzer

Ochún est associé au saint Catholique La Virgen de la Caridad del Cobre.
Photo : Kenneth Schweitzer

Autel Lucumí.
Photo : Kenneth Schweitzer

Sous une forme ou une autre, la musique accompagne la plupart des aspects de la vie religieuse Lucumí, et les expressions de la musique les plus communes sont parfois les plus inaperçues. Elles ont lieu pendant la divination, la prière, le sacrifice, l'initiation et pendant la préparation des médicaments à base de plantes. Chanter est essentiel dans chacune de ces activités car le chant est réputé posséder de l'aché, le pouvoir de faire que les choses se réalisent. Dans ces séances privées, on chante seul ou de façon responsoriale entre plusieurs adeptes : c'est habituellement sans accompagnement, mais parfois soutenu par le rythme des claquements de mains ou du tintement de cloches (agogo) ou de hochets (acheré).

“Ibarago ago mo juba” (1957) par Cándido Martínez - album Havana, Cuba, Ca. 1957: Rhythms and songs for the Orishas

La vie religieuse Lucumí est aussi caractérisée par des rituels musicaux publics appelés alternativement toque de santo, bembé ou simplement tambor. Ces séances de quatre à six heures se tiennent à diverses occasions pour une myriade de raisons. Elles sont habituellement accueillies au domicile des adeptes et encouragent l'interaction sociale. Elles servent ordinairement à fêter l'anniversaire d'une initiation et, en conformité avec le calendrier catholique romain, la fête d'un saint. Par ailleurs, les adeptes peuvent aussi organiser un toque de santo pour faire face à la maladie, à des difficultés économiques ou à d'autres circonstances difficiles.

Le maître tambourinaire batá Pancho Quinto à l’iyá.
Photo : Kenneth Schweitzer

Pour ces cérémonies festives, les santeros transforment leurs maisons en lieux de culte et de célébration. Avec des décorations élaborées à base de tissus, de graines, de fruits et de bien d'autres objets rituels, une chambre est transformée en un espace d'autel appelé igbodú. Les membres de la maisonnée et les amis proches préparent un festin qui sera consommé par tous les participants. Pour garantir la qualité musicale, l'hôte d'un toque de santo loue les services d'un chanteur solo, appelé akpwón, et d'un ensemble professionnel de percussions. Pendant ces cérémonies, la musique remplit plusieurs rôles. D'abord, elle fonctionne en coordination avec les autres éléments expressifs (en particulier la danse, la nourriture, l'habillement et les décorations) pour créer un environnement festif qui aide à rassembler la communauté pour le culte. La musique sert également à amener les santeros à être possédés par leur saint patron (ou orisha).

Tambour conga, fréquemment utilisé dans les toques de santo.
Photo : Kenneth Schweitzer

Le présent dossier se concentre sur les traditions havanaises.

 

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SOMMAIRE
1. La religion Lucumí : Santería ou Regla de Ocha
2. Instruments des Lucumí
3. Ilu Aña, les tambours sacrés batá
4. Le toque de santo, rite public Lucumí
5. La musique et la danse Lucumí comme spectacle folklorique
6. Cuba et au-delà, la propagation de la musique Lucumí
Un exemple : le toque chachalokuafun
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Dr Kenneth Schweitzer

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, Washington College, 2008-2018