Dossier Laméca

La Musique de la Santería à Cuba

2. INSTRUMENTS DES LUCUMÍ

 

Tambours batá

Dans les séances rituelles publiques Lucumí, appelées toques de santo, le chant et la danse peuvent être accompagnés par une grande variété d'ensembles de percussions. Le plus prestigieux de ces ensembles est constitué de trois tambours bi-membranophones en forme de sabliers appelés batá. Les batá sont des tambours sacrés qui sont considérés comme étant des manifestations de l' orisha Aña, et qui ne peuvent être touchés et joués que par des initiés au culte d'Aña (les caractéristiques rituelles et musicales des batá Aña sont abordées au chapitre suivant). Bien que les toques de batá avec des tambours consacrés soient considérés comme les plus efficaces des rites musicaux publics, il y a d’autres types d'ensembles instrumentaux qui peuvent être employés à leur place.

Tambour batá Aña (iyá) paré d’une étoffe ornée de perles (bante), de cloches chagüoró sur son côté large, et de cloches chagüorí sur son côté étroit. Les batá Aña sont taillés dans une seule et même pièce de bois et sont tendus avec du cuir ou de la corde.
Photo : Kenneth Schweitzer

Les aberikulá sont des tambours batá non-consacrés. Les pratiquants louent souvent les services d'un ensemble aberikulá pour faire des économies. L’efficacité rituelle est moindre avec les aberikulá. Et contrairement aux batá Aña, avant la cérémonie il n'y a pas de repas préparé pour les musiciens ou de sacrifice animal pour les tambours. Les aberikulá sont aussi utilisés quand les batá Aña ne sont pas disponibles, comme c'est souvent le cas dans les campagnes cubaines, aux Etats-Unis, au Mexique, en Europe, et autres lieux où la religion Lucumí s'est développée. Même si les batá Aña peuvent être présents dans ces endroits, les aberikulá sont souvent utilisés par manque d'initiés à Aña. De plus, certains pratiquants orthodoxes pensent que les batá Aña ne doivent être joués que la journée, et emploieront un ensemble aberikulá pour les rituels nocturnes. Alors que les batá Aña sont fabriqués à partir du tronc creusé d’un seul et même arbre et tendus avec soit des lanières de cuir soit de la corde, les aberikulá peuvent être faits d'une plus grande diversité de matériaux (comme des lattes de bois assemblées à la manière d'un tonneau, ou même de la fibre de verre) et sont souvent tendus avec des fixations en métal, comme les congas. Il arrive cependant qu'ils soient fabriqués exactement comme des batá Aña.

“Ochún” (1995) par Ilu Aña - album Sacred Rhythms

 

Bembé, güiro et cajón

Le bembé, le güiro et le cajón sont les trois autres ensembles instrumentaux utilisés dans le culte des orisha.

L'ensemble bembé est généralement constitué d'un acheré (hochet), d'un güataca (lame de houe en métal) et de trois ou plus tambours cylindriques à une peau. Il y a de grands écarts de diversité à la fois dans leur fabrication et dans leur jeu, et ils sont parfois rituellement consacrés. Les tambours bembé peuvent être joués avec les deux mains, ou encore une main et une baguette, ou enfin deux baguettes. Ils forment d'habitude un ensemble de trois tambours, appelés du plus aigu au plus grave, cachimbo, mula, et caja. Aujourd'hui, les tambours bembé sont souvent remplacés par les omniprésentes congas.

“Bembé: Shangó” (1985) - album Music of Cuba

L'ensemble güiro est constitué de deux ou trois gourdes végétales recouvertes de perles (appelées güiros ou chékeres), d'une unique conga et d'un güataca. Chacun des güiro produit deux sons : un son profond, clair et résonant produit en tapant la base arrondie de la gourde avec la paume de la main, et un son perçant et aigu provenant de l'entrechoquement des perles sur la gourde. Alors que le güataca et le güiro ont un rôle relativement statique dans la musique, la conga est jouée d'une façon plus libre et plus improvisée qui ajoute un large spectre de textures dynamiques et rythmiques.

Un toque de güiro à La Havane avec le maître tambourinaire Maximino Duquesne Martínez à la conga.
Photo : Kenneth Schweitzer

“Ochún” (1998) par le Grupo AfroCuba de Matanzas - album Raíces Africanas

Plus rarement, les chants aux orisha peuvent également être accompagnés par un ensemble cajón qui est généralement constitué d'un güataca ou de clave (deux bâtons de bois qui sont entrechoqués) et de deux ou trois caisses en bois appelées cajón. Cet instrument polyvalent, qui est tenu entre les jambes du percussionniste ou sur lequel on s'assoit produit une grande diversité de ton et de timbre et est utilisé dans des contextes folkloriques ou religieux afro-cubains très divers. Les cajón sont le plus souvent utilisés dans d'autres types de célébrations religieuses afro-cubaines musicales, comme l’Espiritismo et le Palo, et dans la rumba profane, mais ils sont parfois utilisés pour accompagner les chants et danses aux orisha.

Différents cajónes.
L’instrument en haut à gauche a été fabriqué par Marino “Fatty” Marquez de Matanzas.
Photo : Kenneth Schweitzer

Marino “Fatty” Marquez, facteur des meilleurs cajón de la ville de Matanzas.
Photo : Kenneth Schweitzer

Tambours Iyesá

Les tambours Iyesá sont joués par les descendants cubains du peuple Ijesa du Nigeria. Bien que les Lucumí et les Iyesá partagent de nombreuses croyances et pratiques, leurs langages rituels, leurs ensembles de percussion et leurs chants sont distincts. Au milieu du 19ème siècle, les cabildos Iyesá (des maisons de culte qui au début étaient des sociétés d'entraide autorisées par le gouvernement et/ou l'église catholique) existaient dans de nombreuses villes de Cuba, comme La Havane, Regla, Matanzas, Jovellanos, Trinidad ou Sanctí Spiritus. Aujourd'hui cependant, seuls le Cabildo de San Juan Bautista à Matanzas et le Cabildo de Santá Barbara à Sanctí Spiritus, demeurent en activité.

Tambours Iyesá du Cabildo de San Juan Bautista de Matanzas.
Photo : Kevin Delgado

Tout comme les tambours batá Aña, les tambours iyesá sont fundamento (consacrés). Ils sont nourris par des sacrifices avant d'être joués et doivent être convenablement salués par les tambourinaires et les adeptes. L'ensemble Iyesá de Matanzas est constitué de deux cloches et de quatre tambours bi-membranophones appelés, du plus aigu au plus grave, primero, segundo, caja, et bajo. Alors que le tambour batá est frappé à mains nues des deux côtés, les tambours iyesá cylindriques ne sont frappés que d'un côté : le primero et le segundo sont frappés par une baguette de la main droite ; le caja est frappé d'une baguette et d'une main nue; et le bajo est frappé des deux mains nues.

Alors que pour le batá il y a plus d'une centaine de toques (rythmes) répertoriés, il n'y a que seulement deux rythmes iyesá pour accompagner les chants. Appelés Ogún et Ochún, ces deux rythmes génériques sont utilisés en louange à tous les orisha. Un troisième rythme est employé pour clore le rituel.

“Toque y canto a Ochún” (1977) - album Antologia de la música afrocubana, Vol. III: Musica Iyesá

 

______________________________________

SOMMAIRE
1. La religion Lucumí : Santería ou Regla de Ocha
2. Instruments des Lucumí
3. Ilu Aña, les tambours sacrés batá
4. Le toque de santo, rite public Lucumí
5. La musique et la danse Lucumí comme spectacle folklorique
6. Cuba et au-delà, la propagation de la musique Lucumí
Un exemple : le toque chachalokuafun
Illustrations musicales
Bibliographie

______________________________________

par Dr Kenneth Schweitzer

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, Washington College, 2008-2018