Dossier Laméca

Calypso & steelbands de Trinidad et Tobago

1. MUSIQUE

 

Le calypso (également appelé kaiso) et les steelbands sont aujourd'hui deux genres distincts, mais proviennent historiquement de la même tradition de carnaval. Pour bien comprendre leurs mécanismes de genèse, il est important d'avoir à l'esprit le contexte politico-historique qui en fut le théâtre.

 

CALYPSO

Des racines franco-antillaises

Trinidad, longtemps délaissée par ses premiers colonisateurs espagnols, connu à partir de 1783 l'immigration de planteurs des Antilles françaises avec leurs esclaves d'origine africaine, afin de développer l'exploitation agricole esclavagiste. En 1797, Trinidad passe aux mains des anglais. Le peuplement de la colonie, dont les populations amérindiennes furent totalement décimées, se poursuivra pour l'essentiel par des immigrations en provenance, des îles anglophones et francophones, du Venezuela, puis de l'Inde.

Aujourd'hui, la grande majorité de la population est en proportion équivalente d'ascendance africaine et indienne, auxquels il faut ajouter les métisses et une très faible minorité de blancs et de chinois.

Negro Dance.
Gravure de l’anglais Richard Bridgens suite à son séjour à Trinidad entre 1838 et 1845.
Bibliothèque du Congrès.

La population d'origine africaine de Trinidad avait donc le plus souvent d'abord transité par d'autres colonies, important ainsi la langue localement appelée patwa (créole des Antilles françaises, aujourd'hui presque disparu), le carnaval, et des pratiques musicales telles que le bèlè, joubha, bamboula, kalinda (associé à la pratique du stickfighting, combat d'hommes armés de bâtons). Ces multiples genres musicaux influencèrent la musique du carnaval du XIXe siècle : chants responsoriaux (un soliste, le chantwel, alternant avec un chœur), accompagné en polyrythmie par des tambours et idiophones.

"Mary-o" (bèlè piké) (1962) (extrait).

 

Passage de la rue à la scène, naissance du calypso

La fin du XIXe siècle connaît une période transitoire. En 1884, l'autorité coloniale anglaise interdit les "tambours et instruments de musique bruyants". Les chantwels, qui poursuivent parallèlement leur rôle dans la musique de carnaval, commencent à se produire dans un contexte différent, dans des tents (cabanons de bambous situés dans des quartiers populaires), où une participation est demandée à l'entrée. Accompagnée d'un changement d'instrumentation, cette évolution marque la naissance du calypso.

Calypso tent, 1956.
Mighty Sparrow (haut, 4ème en partant de la gauche).
Couverture du cd "Calypso Awakening".

 

Des chantwels aux calypsonians, une esthétique du verbe plus affirmée

Les calypsos du début du XXe siècle avaient un style musical particulier, appelé Oratorical calypso ou Sans humanité. Chaque strophe se terminait par la ritournelle en patwa "Sans humanité", héritée du stickfighting, et la mélodie était en mode mineur. Si cette forme disparut graduellement, elle est toujours une source d'inspiration et des calypsos en mode mineur sont régulièrement remis au goût du jour.

Le XXe siècle assistera au passage du patwa à l'anglais, à un affranchissement des chantwels (rebaptisés calypsonians) de leurs groupes de carnaval et à leur possible professionnalisation, un élargissement de cette pratique aux classes moyennes et une commercialisation croissante du genre.

Les textes, soumis depuis l'entre deux guerres jusqu'en 1951 à une implacable censure, abordent, généralement sous un angle humoristique, des thèmes variés de chronique sociale (voir la rubrique "Paroles"pour quelques exemples).

Parfois complaisants vis à vis du pouvoir colonial, ils traitent également des rapports hommes/femmes, des relations inter-ethniques et tentent les sujets politiques sensibles (tel que les émeutes de 1937), mais sont alors généralement censurés.

"God made us all" (calypso) (1946) par Lord Pretender (extrait).

 

STEELBAND

Esthétique du son métallique et génie de la récupération/transformation, naissance du pan

Parallèlement, les groupes de carnaval restés dans la rue adoptent les tamboo-bamboo (bambous percutés et pilonnés), puis de plus en plus d'instruments de récupération métalliques, comme support des polyrythmies. Les premiers groupes utilisant uniquement des instruments métalliques apparaissent avec succès au cours des années 30, et permettent la découverte de la possible différenciation de plusieurs hauteurs de son sur des surfaces telles que des boites de biscuits, des pots de peinture, des poubelles et enfin, des bidons de pétrole.

"Caporal Ojoe" (tamboo-bamboo) (1962) (extrait).

Groupe de musiciens d'idiophones métalliques, carnaval 1940.
Extrait du livre "The Steelband Movement", Stephen Stuempfle.

De là viendront des expérimentations dans les années 40, aboutissant progressivement à l'adoption des bidons de pétrole comme support privilégié et de la gamme occidentale tempérée comme modèle scalaire, vers la fin de la seconde guerre mondiale.

"Mwen boyko samba" (1962) par Rise and Shine Steelband (extrait).

Steelband Invaders portant les instruments " Pan around the neck ", c'est-à-dire suspendu au cou, au début des années 1950.
Extrait du livre "The Steelband Movement", Stephen Stuempfle.

 

Le pan, un instrument de musique à part entière, emblème de la nation Trinidadienne

Très peu de morceaux originaux ont été composés pour le pan (ou steeldrum), et le répertoire consiste en général en l'arrangement de calypsos, de musique latine, de musique populaire américaine diffusée par la radio, et même de musique classique, ces genres étant initialement créolisés par une section rythmique locale.

"Soki soki" (1991) par Pamberi Steelband (extrait).

Malgré un mépris tenace entachant les pannistes, issus des milieux populaires, le pan a gagné ses lettres de noblesse en devenant un puissant symbole, l'instrument national de Trinidad et Tobago. Pourtant, aujourd'hui organisés (comme les calypsos) en une succession de compétitions qui régissent au niveau national l'ensemble du mouvement et l'esthétique musicale même, les steelbands n'ont pas fini de subir une organisation "par le haut", probable héritage du système colonial.

La plus importante de ces compétitions, le Panorama a néanmoins une fantastique fonction fédératrice, et rassemble chaque année une soixantaine de groupes composés d'une centaine de musiciens pendant la période du carnaval. Les règles de la compétition imposent que le morceau joué soit un calypso produit dans l'année précédente.

Renegades juniors, Panorama 2002.
© Aurélie Helmlinger

Un arrangeur est chargé de l'orchestration, y apportant de virtuoses développements musicaux qui devront convaincre les juges et le public.

"Birthday party" (1999) par Phase II Steelband (extrait).

 

Steelbands et calypsos sont nés de la séparation des chanteurs solistes de la musique du carnaval de Trinidad ; Reliés par une histoire commune, ils entretiennent toujours des rapports étroits.

 

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SOMMAIRE
1. Musique
2. Instruments
3. Musiciens
4. Racines dans le vent
Illustrations musicales
Paroles
Bibliographie

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par Dr Aurélie Helmlinger

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2002-2012