Dossier Laméca

Rumba de Cuba

5. CHANO POZO ET AU-DELÀ

 

Renommée internationale

L'histoire de la rumba est liée à celle de la tumbadora (conga), cet instrument de percussion cubain adopté par de nombreuses musiques à travers le monde.

Chano Pozo (1915-1948) est le premier à l’avoir popularisé aux Etats-Unis, à l’occasion de sa collaboration avec le jazzman noir américain, Dizzy Gillespie (1917-1993).

Le 4 février 1947, tout juste après son arrivée à New York, Chano effectue une session d'enregistrement. Pour la toute première fois, une authentique rumba est alors enregistrée.

"Ya no se puede rumbear" (1947) par Chano Pozo (extrait).

Chano Pozo, une star à La Havane avant son arrivée à New-York.
Collection Ned Sublette

 

Quand CUBA et les USA se rencontrent : une hybridation musicale féconde

Avec le succès de la collaboration Chano Pozo / Dizzy Gillespie (le titre “Manteca“ sera le plus gros tube de Dizzy), la musique afro-américaine connaitra une longue période d’expérimentation. Expérimentation aussi décisive que méconnue. Des batteurs chercheront les multiples manières d’hybrider les sentiments de la musique afro-américaine à ceux de la musique afro-cubaine. Cela influencera la direction que prendra le jazz (le bepob aurait été impensable sans cette collaboration) mais aussi la pop qui était au début de sa révolution rythmique.

Après le décès de Chano Pozo en 1948, des congueros cubains participeront à des milliers d’enregistrements de jazz et de pop aux États-Unis : Candido Camero (1921), Armando Peraza (1924), Carlos "Patato" Valdes (1926-2007), Francisco Aguabella (1925-2010), Julito Collazo (1925-2004) et Mongo Santamaria (1922-2003). Ce dernier, plus qu’aucun autre après Chano Pozo, a fait de la tumbadora l’un des instruments les plus courants aux États-Unis. Avec ce tambour, il a enregistré une variété époustouflante de rythmes et de styles.

Couverture du disque vinyle du musicien cubain, Mongo Santamaria, édité par le label newyorkais Tico Records en 1957. Sur les 12 titres de cette compilation, figurent 4 rumbas dont 3 préalablement sorties en 1955 dans l’album "Changó" de Mongo Santamaria.

 

Diffusion de la rumba et de son esthétique

La rumba a été très populaire chez les noirs de Porto-Rico et dans la diaspora hispanique des barrios (quartiers) de New York où se mêlaient Cubains, Portoricains et, plus marginalement, afro-américains.

Avec sa texture sonore tambours-voix, son identité Noire extravertie et son sens du style, la rumba se fond sans difficulté dans le hip-hop. D’ailleurs, le vocabulaire chorégraphique de la columbia pourrait bien avoir influencé la break-dance quand elle est créée dans le quartier new-yorkais du Bronx autour des années 1970.

De même, la rumba a toujours été un sous-texte de la salsa, cette musique au fort accent cubain qui apparait dans ces mêmes quartiers new-yorkais dans les années 1970.

A l’époque de Chano Pozo, la rumba était associée au monde du jazz et tout le mouvement du latin-jazz qui suit en sera imprégné.

 

Reconnaissance nationale

À Cuba, la tumbadora est devenue également un instrument incontournable, adopté par de nombreux groupes.

Couverture du disque vinyle d’Alfredo Zayas sorti en 1955. Edité par le label cubain Panart, c’est le premier disque 100% percussions enregistré à Cuba.
Le titre "El Vive Bien", chanté par Roberto Maza, sera le premier tube de rumba.

Fin XXème et début XXIème siècle, la rumba quant à elle gagne en visibilité et attrait au plan national à Cuba. Le fort élan de sympathie dont elle bénéficie à l’étranger y est pour quelque chose, comme en témoigne le succès des tournées d'un certain nombre de groupes, notamment celles impressionnantes de Los Muñequitos de Matanzas. La renommée internationale de ces grandes stars de la rumba a eu un effet stimulant sur la scène locale cubaine, tant pour les musiciens que pour le public.

Mais cet intérêt national pour la rumba est aussi lié à la popularité de ce style cubain post-salsa apparu à la fin des années 1980, la timba, dont le caractère rythmique très prononcé doit beaucoup à la rumba. Timba est d’ailleurs un mot qui été longtemps un synonyme de rumba.

Couverture du cd "La Rumba Soy Yo" (BIS Music, 2000), enregistré par le All-Stars de la Rumba Cubana, qui réuni grandes figures de la rumba et stars de la musique cubaine. Aux Latin Grammy Awards 2001, le disque remporte le prix du meilleur album de musique traditionnelle, premier Latin Grammy de l’histoire discographique de Cuba.

Aujourd’hui à Cuba, la rumba se porte donc très bien. Une simple balade à La Havane ou à Matanzas suffit pour l’observer. Cette musique traditionnelle n'est pas la propriété des seules stars qui la sublime sur les scènes nationales et internationales. Si elle est jouée n'importe où dans le monde, à Cuba elle est plus qu’une musique. Elle encadre encore la réalité quotidienne de la communauté, on "vit rumba". Chaque barrio (quartier) a ses rumberos, chacun avec sa couleur propre.

 

Le groupe Los Muñequitos de Matanzas, une institution de la rumba à Cuba

Fondé en 1952, le groupe Guaguancó Matancero commence dans les solares de Matanzas puis à La Havane en 1953. Ses chanteurs, Hortencio Alfonso "Virulilla" et Esteban Lantri "Saldiguera, qui ensemble chantaient déjà dans un sextet de son, sont à l’origine de l’introduction dans la rumba de l’harmonisation du chant à la tierce, typique du son. Ce fut pour la rumba une véritable nouveauté, comparable pour le son à la révolution d’Arsenio Rodríguez, une décennie plus tôt, avec l’intégration de la tumbadora (conga).

Les premiers musiciens du groupe Guaguancó Matancero :
Assis (de gauche à droite): Hortencio Alfonso "Virulilla", Esteban Lantri "Saldiguera", Juan Bosco Mesa.
Debout (de gauche à droite): Florencio Calle "Catalino", Gregorio Díaz "Goyo",
Esteban Vega Bacallao "Chachá", Pablo Mesa "Papi", Ángel Pellado "Pelladito.

Le morceau "Los Muñequitos", enregistré en 1956, aura un tel succès que le groupe s’appellera désormais Los Muñequitos de Matanzas.

Los Muñequitos (1956) par Guaguancó Matancero (extrait).

L’immense popularité du groupe conduira La Havane à adopter la clave de guaguancó. Originaire de Matanzas, celle-ci est plus syncopée que la clave de son.

Le chanteur Ricardo Cané (1949-2003) du groupe Los Muñequitos de Matanzas en concert à Central Park (New-York) en 1999.
© Ned Sublette

 

Yoruba Andabo en concert au parc Jesús María (La Havane, 2006).

 

Clave y Guaguanco (La Havane, 2010).

 

Afrocuba de Matanzas à la télévision cubaine interprétant le classique "Palo Yaya" dans le style batarumba.

 

Rumberos de Cuba, groupe récent de La Havane.

 

Rumbatá, groupe récent de Camagüey.

La rumba ne s'est jamais organisée en corporation, et dans cet age de la post vidéo individuelle, la plus grande part de la documentation sur la rumba est encore le fait d'initiative personnelle. Los Rumbos de la Rumba, le site Internet sophistiqué et interactif de Berta Jottar se concentre sur les cubains de New-York. Le blogueur et éditeur en ligne de vidéos Barry Cox (guarachon63), insiste sur la diversité de la rumba d'aujourd'hui, et propose également des vidéos comme cette interview à la télévision cubaine de Saldiguera et Virulilla, chanteurs des Muñequitos de Matanzas. Il contribue également au Cancionero Rumbero, un blog qui rassemble les paroles de chansons de rumba. Son confrère, Patrice Banchereau, s'occupe lui de ¡Koro Mi Yare! un site Internet consacré à l'histoire et à l'actualité de la rumba.

Des documents ne cessent d'apparaitre en provenance de diverses sources comme cette vidéo d'une interview de feu Esteban Vega (Chachá), le quintero indépassable des débuts discographiques des Muñequitos de Matanzas.

 

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SOMMAIRE
1. Combat fraternel
2. Columbia, Yambú, Guaguancó : les trois styles principaux de la rumba
3. La percussion
4. Racines : baile yuka, negros curros et ñañigos, coros de clave
5. Chano Pozo et au-delà

Illustrations musicales
Sources

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par Ned Sublette

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2013