4. Racines : baile yuka, negros curros et ñañigos, coros de clave

Dossier Laméca

Rumba de Cuba

4. RACINES : BAILE YUKA, NEGROS CURROS et ÑANIGOS, COROS DE CLAVE

 

La rumba avant la rumba

Alors que la rumba telle que nous la connaissons aujourd'hui semble avoir émergé à la fin du 19ème siècle, une configuration de base était à l’œuvre depuis bien des décennies : les danses du samedi ou du dimanche dans les barracón (quartiers des esclaves) avec la contribution stylistique de chacune des Naciones africains (communautés culturelles africaines).

Ci-après, quelques éléments d’origines de la rumba.

 

Baile Yuka

Déroulement

"Ralentissez un peu le baile yuka et vous aurez le yambú", explique Diosdado Ramos, directeur général du groupe de rumba Los Muñequitos de Matanzas.

Le baile yuka était une danse profane, comme le yambu. Un couple dansait au milieu d’une ronde formée de spectateurs. Les chanteurs s’affrontaient dans des controversias (duels poétiques) qui se transformaient parfois en combats réels. Gallos (coqs) était d’ailleurs le nom donné aux chanteurs, en référence au combat de coqs. Au départ, les chants étaient en langue bantoue, puis progressivement avec l’arrivée de nouvelles nationalités, la lingua franca de l'espagnol c’est imposée aux générations suivantes.

Le jeu des tambours yuka.
© Jorge Puig

Orchestre

Dans le baile yuka, les percussionnistes jouaient sur des tambours lourds et volumineux, faits de troncs d'arbres évidés (de préférence des avocatiers) recouverts d’une peau de bœuf. Ils étaient joués selon la configuration Ouest africaine classique à trois tambours :

La caja, le plus grand (à un tel point qu’il était posé au sol en diagonale), était joué par le musicien le plus expérimenté. Il avait pour fonction de dialoguer avec les danseurs.
Un autre percussionniste muni de baguettes jouait la guagua sur les flancs de la caja, un rythme de type ostinato sur deux mesures, rapide et répétitif.

Les deux autres tambours, la mula et la cachimba, de plus petite taille, maintenaient des motifs rythmiques d’accompagnement.

 

Abakuá

Les ñáñigos, ou Abakuá sont les descendants directs de la société du léopard de la région du Calabar (Afrique de l’Ouest). A Cuba, ils constituent une société d'entraide qui, auparavant, contrôlait la répartition du travail sur les quais. Particulièrement craints, ils étaient un puissant moteur culturel dans leurs quartiers.

Le diablito abakuá par le peintre cubain Víctor Patricio Landaluze.

Si la ville de Matanzas était considérée comme "l'Athènes de Cuba" pour le raffinement de sa culture européenne, elle était peut-être un centre encore plus grand en matière de culture africaine, en particulier au moment de la fin de l'esclavage (1886, bien qu'à cette période un très faible pourcentage de la la population était esclave). En effet, le barrio (quartier) de Simpson à Matanzas, un haut lieu Abakuá, a vu naître une génération de rumberos légendaires. De meme que le barrio de La Marina, l'un et l'autre encore activement Abakuá aujourd'hui.

Román Díaz et Pedrito Martínez interprètent en rumba un chant Abakuá.
Filmé au club Esquina Habanera (New-Jersey).
Video: Berta Jottar

 

Coros de Clave

Avec l’urbanisation croissante de la population noire, causée par l’abolition de l’esclavage, les danses des habitations-sucrières vont croiser un style originaire de Catalogne (Espagne), les coros de Clavé.

Cette forme de chant choral a été développé en 1845 à Barcelone par le poète et musicien José Anselmo Clavé (1824-1874), un des premiers communistes européens, avec sa chorale ouvrière, La Aurora. Le style remporte un vif succès dans les milieux populaires de Barcelone qui voit l’apparition de nombreux groupes de coros de Clavé. La tradition arrivera à Cuba, notamment dans les quartiers noirs de La Havane. Clavé se transforme alors en clave, avec tous ses sous-entendus rythmiques.

Plaque en pierre de la rue José Anselmo Clavé à Madrid (Espagne), inaugurée en 1925.
Wikimedia

 

Des coros de Clave noirs au coros de Guaguancó

Ces coros de clave noirs étaient des chorales itinérantes, luxueusement vêtues, dont certaines pouvaient compter jusqu’à 150 membres.

Elles étaient généralement accompagnées d'un banjo américain appelé viola, dont les cordes étaient enlevées afin d'être joué comme un instrument de percussion. Ce détournement du banjo était, encore une fois, une façon de contourner l'interdiction pesant sur les tambours.

Les paroles des coros de clave avaient souvent la structure classique espagnole de la décima.

Los Roncos et Paso Franco étaient les plus connus des coros de clave classiques de La Havane. Ignacio Piñeiro, un des membres de Los Roncos, était un Abakuá et un rumbero et cela avant de monter la formation de son très influente, Sexteto Nacional et de devenir une des figures clés du boom du son.

Les coros de clave n'ont malheureusement pas été enregistrés, cependant il existe quelques enregistrements post-coros de clave qui donnent une idée de la musique, comme le morceau “Desengaño de los Roncos” enregistré en 1956 par Le groupe d'Alberto Zayas, avec au chant lead Carlos Embale.

"Desengaño de los Roncos" (1956) par le groupe d'Alberto Zayas, avec au chant lead Carlos Embale (extrait).

L'age d'or des coros de clave couvre une période qui va de l'indépendance de Cuba (1898) à la 1ère guerre mondiale.

Les coros de clave ont évolué en coros de guaguancó, avec des chants de rumba accompagnés par des caisses de bois, les cajones. L'un des grands groupes de rumba havanaise tire son nom de ce mouvement: Clave y Guaguancó.

Le groupe Clave y Guaguancó en chorale dans le film documentaire cubain “... y tenemos sabor” réalisé par Sara Gómez en 1967.

Une mise en scène moderne du coro de guaguancó est visible dans le film documentaire d'Oscar Valdés La Rumba (1978). Bien qu'il s'agisse d'une reconstitution, on est quand même proche du son de ces organisation populaires disparues.

La Rumba, le film documentaire d'Oscar Valdés réalisé en 1978 (extrait).

 

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SOMMAIRE
1. Combat fraternel
2. Columbia, Yambú, Guaguancó : les trois styles principaux de la rumba
3. La percussion
4. Racines : baile yuka, negros curros et ñañigos, coros de clave
5. Chano Pozo et au-delà

Illustrations musicales
Sources

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par Ned Sublette

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2013