Dossier Laméca

Rumba de Cuba

1. COMBAT FRATERNEL

 

"Un sergent de police... et deux vigiles ont surpris une rumba dans un style Africain qui se tenait rue 4 Cantera. Neuf femmes et neuf hommes ont été arrêtés. Après avoir été identifiés, ils ont été présentés au juge correctionnel du district. Les détenus sont également accusés de s'être moqués et d'avoir manqué de respect à la police."
Diario de la Marina, La Havane, 25 septembre 1908.

Le mot rumba renvoie à la danse comme à la musique. Il désigne également cette fête, imprégnée de rhum, où la communauté forme un cercle autour de danseurs rivalisant fièrement les uns après les autres.

La rumba est un ensemble de danses aux tambours comprenant le guaguancó, le yambú et la Columbia, exécutées dans les solares des villes de La Havane et de Matanzas. Les solares sont des logements multi-familiaux et communautaires où vivent les classes sociales défavorisées, et qui sont disposés autour d'un patio central commun.

Le solar de Amado Dedéu, leader du groupe de rumba Clave y Guaguancó (La Havane, 2005).
© Gustav Michaux-Vignes

 

La rumba, un grand bébélé créole

La rumba est née de la rencontre de cultures africaines diverses dans des zones d’habitats concentrés. Son esthétique sophistiquée synthétise tout à la fois, le vocabulaire de divers tambours et danses africains, le monde de la rue, le théâtre comique du 19ème siècle, la décima espagnole, l'harmonie musicale andalouse, la gestuelle du travail agricole, les sports de compétition, la sexualité, et bien d’autres composantes.

Bien que la rumba soit bien une musique profane, elle respecte les religions africaines. Et le fait qu’elle soit une expression culturelle de la rue, n’exclut pas une certaine forme de cérémonie.

 

La Havane et Matanzas, villes de naissance de la rumba

Dès le début du XXème siècle, la rumba est dansée dans tout Cuba. Mais à ses débuts, elle se localise dans l'ouest cubain - plus précisément, dans les capitales culturelles noires de La Havane (dont Guanabacoa) et de Matanzas (y compris Cárdenas), et dans les villes et zones rurales sucrières moins importantes de la région.

Après 1850, Cuba était la dernière région de l'hémisphère où arrivaient encore des captifs Africains. En une seule traversée transatlantique, des bateaux négriers ont déporté dans la région de l’ouest cubain un peu plus de neuf cents individus (provenant pour une grande part de l'actuel Nigeria), repeuplant ainsi des villes entières.

La Havane et Matanzas (en rouge).
Wikimedia

 

Une musique essentielle et pourtant méprisée

Musique méprisée d’une population méprisée, la rumba a mis des décennies avant de pouvoir entrer dans les studios d’enregistrement, alors qu’elle a influencé bien des musiques cubaines. Il a fallu attendre 1947 pour qu’une véritable rumba soit enfin enregistrée, et ce à New-York !

Du point de vue de la bonne société de l’époque, la classe ouvrière noire, historiquement liée à la rumba, était synonyme de criminalité et de sorcellerie. Les problèmes qu’elle avait avec la police étaient d’ailleurs fréquents.

Si quelques-uns arrivaient à tirer un maigre revenu de la rumba, celle-ci ne suffisait pas à nourrir son homme.

Les chanteurs, percussionnistes ou danseurs de rumba étaient en général des ouvriers (dockers notamment), artisans et Ñañigos. Les Ñañigos sont les membres de la société secrète Abakuá, strictement masculine, qui a su préserver dans une remarquable orthodoxie, la langue, la musique et les cérémonies originaires de la région africaine du Calabar.

 

Années 1920. Interpénétration du son et de la rumba

A partir de 1910, la musique son (d’Oriente) traverse l’île d’Est en Ouest et la rumba fait le chemin en sens inverse. Il se produit alors une pollinisation croisée de ces musiques que l’on perçoit dans les premiers enregistrements du son, plus de 20 ans avant le premier enregistrement de rumba.

Quand dans les années 1920, le son commence à être enregistré, il s’agit déjà d’un son « rumba-isé ». Par exemple, à l’écoute attentive des enregistrements du Sexteto Habanero, le groupe prototype de son, on peine à croire qu'il n’y a là qu’un seul tambour, le bongó.

"Diana de la Habanera" (1925) par Sexteto Habanero (extrait).

Le groupe de son Sexteto Habanero en 1925.
Notez la lampe d’accordage du bongó, au pied du joueur.
Couverture de la compilation sur disque vinyle Folkyric LP 9054

 

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SOMMAIRE
1. Combat fraternel
2. Columbia, Yambú, Guaguancó : les trois styles principaux de la rumba
3. La percussion
4. Racines : baile yuka, negros curros et ñañigos, coros de clave
5. Chano Pozo et au-delà

Illustrations musicales
Sources

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par Ned Sublette

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Général de la Guadeloupe, 2013