4-La fête de saint dominicaine (velación) et sa musique

Dossier Laméca

La percussion palos de la République Dominicaine

4. LA FÊTE DE SAINT DOMINICAINE (VELACIÓN) ET SA MUSIQUE

 

Autel d’une fête de saint. Ici par la cofradía de Santa Rita dans la ville de San Juan de la Maguana.
© Martha Ellen Davis

La fête de saint dominicaine, appelée velación, est la manifestation la plus courante du catholicisme populaire dominicain et son expression musicale la plus riche. Selon la région, la velación est appelée alternativement noche de vela, velada ou velorio de santo.

Elle est parrainée par une personne ou par une confrérie religieuse afro-dominicaine (cofradía) et a lieu sur la propriété familiale ou à la chapelle de la confrérie.

La velación parrainée par une personne est offerte en paiement d'une promesa (« vœu » : relation contractuelle à un saint en promesse d’une guérison). Traditionnellement, une fois offerte, la velación devient annuelle et héréditaire.

La velación parrainée par une cofradía célèbre le saint patron de la confrérie organisatrice. Une velación peut être aussi offerte par le membre d’une confrérie en paiement d’une promesa.

« Trône » royal accompagné de Salve (prières), en route pour la fête annuelle du saint familial de Sixto Miniel, le capitán (maître percussionniste) de la cofradía de l'Esprit  Saint de Villa Mella.
© Martha Ellen Davis

Organisation sociale de la velación : un roi pour les palos, une reine pour les Salve

L'organisation sociale d’une fête parrainée par une personne est identique à celle de la fête annuelle du saint d’une fraternité, mais en miniature et le temps d’une journée. C’est par exemple le cas dans la région du Centre-Est, où les grandes cofradías ont disparu, et où la direction de la velación comprend « roi » et « reine » d’un jour, « vice-roi » et « vice-reine ».

Ces derniers arrivent en procession dans la propriété familiale, chantant et jouant des Salve. Ils soutiennent un « trône » (arco ou trono) confectionné pour l’occasion et décoré de fleurs de papier. L’autorité du roi porte sur la danse palos exécutée dans l’enramada (patio couvert). L’autorité de la reine est réservée aux Salve (prières) devant l'autel spécialement préparé dans la salle de séjour, et au-dessus duquel le trône est très cérémonieusement placé lors de l’entrée de la délégation royale.

Salves con panderos.
Petits-enfants et arrières petits-enfants de Sixto Miniel jouant des Salve à la fête annuelle du saint familial. Les panderos (tambourins) sont généralement joués par les femmes.
© Martha Ellen Davis

"Salve con panderos" (M. E. Davis, 1973)
Salve con panderos, un Salve de style créole accompagné de tambours frappés avec les mains. Le texte profane loue les chantiers publics du président de l'époque, Joaquín Balaguer (enregistré à Monte Plata).

A chaque musique son moment et son lieu

Dans les velaciónes, chaque genre musical est affecté à un moment précis du rituel : devant l'autel, dans la maison ou dans d’autres espaces. Les Salve (antienne à la Vierge Marie, remontant au XIème siècle. Une antienne est un refrain à deux chœurs qui alternent des versets) sont toujours chantés devant l'autel spécialement préparé pour l’occasion. Les tambours palos peuvent être joués à certains moments près de l'autel (comme dans le Sud-Ouest) ou à l'extérieur, dans l’enramada, le patio couvert (comme dans l'Est).

 

Le rituel est découpé en trois tercios (tiers d'un rosaire. Le rosaire est une prière que l’on récite en égrenant le chapelet), à 18h pour commencer, à minuit, et juste avant l'aube. Chacun est suivi de trois Salve Regina chantés. Ceux-ci sont exécutés selon une structure antiphonale (procédé d’exécution en alternance, entre deux chœurs, dans les liturgies chrétiennes), de manière mélismatique (répartition d’une durée musicale longue en un groupe de notes de valeur brève), illimitée, et sans accompagnement. Dans le Sud, ces Salve Regina sont suivis de trois morceaux sacrés joués aux tambours.

Instruments des Salve du Centre-Sud et de l'Est.
Panderos (tambourins enrichis de quelques sonnailles, instruments généralement joués par les femmes, en nombre illimité dans l’orchestre).
Mongó (petit tambour tenu entre les genoux du musicien masculin assis).
Güira (racloir métallique).
Paire de maracas (hochets).
© Martha Ellen Davis

Variations régionales

Entre ces marqueurs temporels, la musique, très variée, change selon les régions. Dans le Sud-Ouest par exemple, la musique comporte des Salve Regina supplémentaires jusqu'au tercio suivant. Il s’agit là probablement de la forme de velación la plus traditionnelle.

Dans le Sud, le Salve entre les tercios est chanté en grande partie par les hommes sous forme de défi (desafío), à la manière des conversations en chants improvisés que l’on trouve ailleurs dans le pays (origine méditerranéenne). Les palos, le cas échéant, sont joués dans l’intermédiaire ou à l'extérieur.

"Salve de la Virgen" (M. E. Davis, 1973)
Salve de la Virgen, lors d'une halte nocturne en route vers le centre de pèlerinage d'Higüey (Est) par un pèlerin enroué qui exhorte les autres à chanter avec elle devant l'autel (enregistré à Santa Lucía, El Seybo).

Dans la région orientale, les tercios sont entrecoupés par un type de Salve créole africanisé, caractérisé par un texte sacré quasiment disparu, une structure d’origine africaine en appel/réponse (ou chant responsorial. Consiste en un dialogue entre le soliste et le chœur, ce dernier chantant un refrain ou répétant les derniers mots du soliste), un accompagnement polyrythmique par des frappements de mains ou par des petits tambours.

Dans l'Est, les palos pour la danse sont joués à l’extérieur dans un patio couvert (enramada).

Diffusion des tambours palos

Il semble que les palos étaient autrefois beaucoup moins largement diffusés dans le pays. L'histoire orale dit que les palos se sont propagés au sud des monts Neiba depuis la vallée de San Juan (région intérieure du Sud-Ouest) il y a à peine une quarantaine d'années. Le genre musical joué était le Salve con palos.

Salves con palos joués à une fête de saint parrainée par un medium vodú (région Sud-Ouest).
© Martha Ellen Davis

"'Guaracha' de Liborio" (Miguel Fernández, 2002)
Salve con palos "'Guaracha' de Liborio", en l'honneur de Liborio Mateo, le plus grand leader messianique de l'histoire du pays (décédé en 1922) (enregistré à San Juan de la Maguana - Sud-Ouest intérieur).

 

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SOMMAIRE
1. Panorama de la religion populaire dominicaine et de sa musique
2. Les confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías) et leur musique palos
3. Étude de cas : la confrérie de Saint-Jean-Baptiste de Baní et sa sarandunga
4. La fête de saint dominicaine (velación) et sa musique

5. La danse aux tambours palos (baile de palos)
6. Musique palos transnationale... des racines dans le vent !
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Dr Martha Ellen Davis
Archivo General de la Nación (Dominican Republic) & University of Florida (USA)

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2018