3-Étude de cas : la confrérie de Saint-Jean-Baptiste de Baní et sa sarandunga

Dossier Laméca

La percussion palos de la République Dominicaine

3. ETUDE DE CAS : LA CONFRÉRIE DE SAINT-JEAN-BAPTISTE DE BANÍ ET SA SARANDUNGA

 

Après l'abolition de l'esclavage et suite à la modernisation du pays devenu indépendant, les afro-dominicains ont pu bénéficier des services publics et voir leur situation économique s’améliorer. La cofradía avec sa fonction funéraire et de société d’entraide s’est trouvée en net recul. Cependant, certaines cofradías sont encore des vestiges vivants de l’histoire coloniale. C’est le cas de la cofradía de Saint-Jean-Baptiste dans la province de Peravia, plus communément appelée Baní.

Localisation de la cofradía de Saint-Jean-Baptiste dans la province de Peravia.

Saint-Jean-Baptiste

Par sa dévotion à Saint-Jean-Baptiste, la cofradía de Baní est atypique car dans le reste du pays ce saint patron est largement supplanté par le Saint Esprit.

L’importance accordée à Saint-Jean découle de la coïncidence de la date de sa célébration (le 24 Juin) avec le solstice d'été mais aussi du symbolisme de l'eau auquel il est associé en sa qualité de baptiseur du Christ. La ferveur dont il fait l’objet est aussi le fruit d’un syncrétisme entre croyances de la Méditerranée, des îles Canaries et de l’Afrique de l’Ouest.

Dans toute l'Afro-Amérique latine (comme dans la Méditerranée et les Canaries) il est largement admis que Saint-Jean bénit toute étendue d'eau douce (source ou rivière) avant l'aube du 24 juin.

A la vue des croyances, des rituels, de la percussion et de la danse sarandunga, il est évident que cette dévotion à Saint Jean-Baptiste est un creuset des différentes composantes ethniques de la société dominicaine et spécifiquement de celle de Baní.

Histoire de la confrérie

Dans le passé, le véritable centre du commerce dans le Sud-Ouest dominicain n'était pas la ville de Santo Domingo mais Port-au-Prince (Haïti). Et selon l’histoire orale précieusement conservée par la confrérie, du temps de l’unification de l’île sous domination haïtienne (1822-1844), un certain Piobisco Martínez aurait acquis à Port-au-Prince le portrait de Saint-Jean et ses tambours. À sa mort, la dévotion à ce saint a été transmise par héritage à sa mère, appelée capitana. Puis le leadership a été transmis à sa fille aînée, ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui. L'organisation sociale originelle était beaucoup plus complexe qu'elle ne l'est aujourd'hui, et la confrérie était bien plus importante et bien plus prospère.

Calendrier rituel

Les célébrations comprennent trois fêtes :

  • dans la chapelle populaire du saint, la veille, et anciennement le jour de la Saint-Jean (23-24 juin)
  • à Fundación de Peravia, le jour de la Saint-Pierre (29 juin)
  • à La Vereda, le deuxième ou troisième samedi de juillet.

Toute l'année, un certain nombre de fiestas peuvent être données à l’occasion des rituels individuels des dévots, par exemple en paiement d'un vœu pour une guérison, ou pour le baptême d’une maison.

La confrérie de Saint-Jean-Baptiste en procession avec bannière et saint. Elle chante et joue le genre musical appelé morano.
© Martha Ellen Davis

Procession à la rivière Baní

La fête la plus importante est célébrée la veille de la Saint-Jean. Elle culmine tout juste avant l'aube par une procession à la rivière Baní, avec bannière, saint et tambours.

La bannière rouge de Saint-Jean est mise au contact de la rivière afin de bénir l’eau pour la journée. Les fidèles peuvent alors plonger dans la rivière et remplir des bouteilles d’eau bénite. Sur le chemin du retour vers la chapelle, la confrérie « rend visite aux frères ». Elle joue trois morceaux au domicile des dévots importants et des personnes âgées qui sont dans l’incapacité de sortir, et à d'autres personnes qui leur offrent des rafraîchissements.

Lors de la fête du 29 Juin, des hommes ou des garçons appelés Pedro (Pierre) ou Juan (Jean) jouent la scène du réveil de Saint-Jean par Saint-Pierre. Saint-Jean étant si puissant, Dieu, le jour de sa fête, a été contraint de le plonger dans le sommeil afin qu’il ne détruise pas le monde; Saint-Jean jure que cela n'arrivera pas l'année prochaine.

Jour de la Saint-Jean à l’aube (24 juin).
Tandis que les tambours de la sarandunga jouent trois morceaux sur le rivage, les dévots du saint recueillent l'eau bénite de la rivière Baní.

Sarandunga (orchestre et musique)

L’orchestre qui joue la sarandunga comprend trois tambores (petits tambours bi-membranophones montés de peaux de cabri lacées) et une güira (grattoir métallique). Contrairement au style joué pour les morts avec les grands tambours palos, la sarandunga est une musique entraînante avec une structure rythmique principalement en 6/8.

Musiciens de la sarandunga.

Procession et autel : morano

Le sous-genre musical utilisé pour la procession et devant l'autel, avec le tambour tenu sous le bras, est appelé morano. Il semble être le résultat d’un syncrétisme entre des influences d’Afrique Centrale et la tajaraste, la plus ancienne danse aux tambours chantée des îles Canaries.

Sous forme de quatrain (strophe composée de quatre vers), les textes du morano évoquent des aspects de la mythologie du saint, l'histoire de la confrérie, le manque d’attention accordée à la confrérie ou à l’inverse, les remerciements pour les rafraîchissements offerts. Les membres peuvent aussi y bénéficier de conseils.

Morano joué devant l’autel à Santa María (San Cristobal).

"Morano" (M. E. Davis, 1973)
Chanté pour les processions et devant l'autel, n'est pas dansé. Soliste : la capitana (chef de la cofradía), Amancia Germán Pérez (décédée en 1977).

Danse : capitana, bomba et jacana

Les sous-genres musicaux réservés à la danse comprennent la capitana, la bomba et la jacana.

"Sarandunga : "Capitana"" (Edna Garrido, 1947)
Maître percussionniste : Nene Pérez (père d'Amancia) (décédé en 1965).

Si cette confrérie n’est pas très versée dans les rituels funéraires, les ancêtres, en tant qu’ainés, sont constamment évoqués dans les textes de certains sous-genres de la musique sarandunga, comme dans la bomba ou la jacana. De même, chaque année au cimetière, ils sont « réveillés » la veille du jour du saint.

"Bomba" (M. E. Davis, 1973)

 

"Jacana" (M. E. Davis, 1973)

La danse de la sarandunga.

La sarandunga, une danse originale

La danse de la sarandunga est une variante du baile de palos (danse aux tambours palos) (voir chapitre 5) avec une virtuosité masculine plus prononcée. Ici, la posture tout en droiture de la femme s’oppose à l'énergie de l'homme. Penché en avant avec la taille baissée, celui-ci balance d’un pied à l’autre tout en remuant un mouchoir rouge dans un geste de séduction.

La jacana est le plus lent et le plus majestueux des sous-genres sarandunga, peut-être un héritage de danses coloniales.

 

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SOMMAIRE
1. Panorama de la religion populaire dominicaine et de sa musique
2. Les confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías) et leur musique palos
3. Étude de cas : la confrérie de Saint-Jean-Baptiste de Baní et sa sarandunga
4. La fête de saint dominicaine (velación) et sa musique

5. La danse aux tambours palos (baile de palos)
6. Musique palos transnationale... des racines dans le vent !
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Dr Martha Ellen Davis
Archivo General de la Nación (Dominican Republic) & University of Florida (USA)

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2018