1-Panorama de la religion populaire dominicaine et de sa musique

Dossier Laméca

La percussion palos de la République Dominicaine

1. PANORAMA DE LA RELIGION POPULAIRE DOMINICAINE ET DE SA MUSIQUE

 

Carte de l’île d’Hispaniola (la République Dominicaine à l’est, Haïti à l’ouest).

 

Les palos sont les instruments semi-sacrés des confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías). Ils sont utilisés également pour les fêtes de saint, les processions, les pèlerinages et les rituels funéraires des membres des confréries.

Fête de saint (velación)

La fête de saint est l’expression la plus répandue du catholicisme populaire dominicain. Pas une nuit dans le pays sans qu’il y ait au moins une personne qui parraine une fête de saint en paiement d’une promesa (ou « vœu » : relation contractuelle à un saint en promesse d’une guérison). Paiement qui tendra alors à devenir une obligation annuelle envers une divinité, véritable totem familial. Cette obligation se transmettant aux générations suivantes.

Ces festivités sont généralement précédées d’une novena (neuvaine : prière, actes de dévotion poursuivis pendant neuf jours, selon des règles précises, en vue d'obtenir une grâce particulière), dont la dernière nuit est une célébration publique avec prières catholiques, repas offert au public, tambours et danse palos.

Percussionnistes palos (paleros) de la région du Sud-Ouest.
© Martha Ellen Davis

Salve Regina

En plus du rosaire (prière que l’on récite en égrenant le chapelet), le Salve Regina (antienne à la Vierge Marie, remontant au XIème siècle. Une antienne est un refrain à deux chœurs qui alternent des versets) est le genre musical incontournable de la fête de saint. Il est chanté en espagnol dans une infinité de formats musicaux.

Officiellement en désuétude dans l'Eglise aujourd’hui, cette prière était un élément important de la dévotion des premiers colons.

Un Salve Regina chanté par des hommes.
© Martha Ellen Davis

“Salve de la Virgen" (M. E. Davis, 1973)
Salve de la Virgen, chanté par des hommes (enregistré à Yamasá). Provient d'un style très ancien.

Déroulement

Une fête de saint se tient traditionnellement la veille du jour du saint célébré, de 6 heures du soir à 6 heures du matin, voire toute la journée.

La manifestation commence par un tercio (tiers d’un rosaire), prononcé devant un autel installé dans le salon du domicile de la personne qui parraine l’événement. Suivent ensuite, trois Salve Regina ou d’autres chants sacrés similaires. Ce cycle est reproduit à minuit et tout juste avant l’aube. Dans les régions à l’influence espagnole plus marquée, les salve se prolongent toute la nuit jusqu’au tercio suivant.

Les danses se déroulent à l’extérieur, de même que les compétitions spontanées de décimas (la décima est une forme poétique d’origine espagnole constituée de dix vers de huit pieds ou dizain octosyllabique)improvisée, les contes, devinettes et juegos de azar (jeux de hasard).

Dans les régions plus africanisées, les tambours palos intègrent la fête de saint. Dans ce cas, trois morceaux sacrés de palos sont joués à la suite du tercio et des trois Salve Regina. Puis tout autre morceau de palos peut-être joué jusqu’au prochain tercio. Dans l’Est, les Salve sont chantés devant l’autel et les palos jouent à l’extérieur dans un patio couvert appelé enramada ; alors que dans le Sud-Ouest, ils peuvent être ponctués par les palos joués dans la chapelle.

Salve de la Virgen et « Salve créole »

Bien que le Salve Regina ait pu se maintenir avec quelques-unes de ses caractéristiques musicales archaïques, il a également évolué en un genre créolisé. Ainsi, le Salve dominicain comprend deux sous-genres : une forme sacrée et liturgique, appelée Salve de la Virgen et une seconde moins sacrée, non-liturgique avec des régionalismes dans l’accompagnement.

La première est antiphonique (procédé d’exécution en alternance, entre deux chœurs, dans les liturgies chrétiennes), mélismatique (répartition d’une durée musicale longue en un groupe de notes de valeur brève), chantée avec une voix haut perchée tout en tension, et sans accompagnement instrumental.

La seconde, avec sa structure typiquement africaine en appel/réponse (ou chant responsorial. Consiste en un dialogue entre le soliste et le chœur, ce dernier chantant un refrain ou répétant les derniers mots du soliste), est chantée dans une tonalité plus basse avec une voix plus détendue. Elle est accompagnée par le jeu en polyrythmie de plusieurs instruments : des claquements de mains, une profusion de panderos (tambours sur cadre) et petits tambours, voire les grands tambours palos. Le texte sacré a quasiment disparu de cette forme. Seule demeure la performance devant l'autel.

Salves con panderos. Tenu entre les genoux, un tambour mongó.
© Martha Ellen Davis

Procession et pèlerinage

Procession et pèlerinage viennent en 2ème position comme contextes importants de l’expression populaire musico-religieuse associée aux saints. L’une et l’autre impliquent des marches en procession. Cependant la première est locale. Elle commence et se termine au même endroit, une église ou une chapelle. Alors que le pèlerinage est régional avec des points de départs multiples et un centre de convergence unique.

Deux lieux de pèlerinage parmi les plus célèbres du pays : le 24 septembre à La Vega (Nord-Est) dédié à la Virgen de Mercedes (Notre Dame de la Miséricorde), ou encore le 21 janvier et le 16 août à Higüey (Est) dédié à la Virgen de la Altagracia.

"Tonada de toros" (M. E. Davis, 1976)
Tonada de toros des fraternités de l'Est, associées au pèlerinage.

Rituels funéraires

Les rituels funéraires sont les 3èmes cadres les plus importants de l’expression populaire musico-religieuse. Ils accompagnent la mort et le deuil à différents moments : à la veillée, lors de la procession vers le cimetière et à son retour, durant la novena (neuvaine), ou encore à l’anniversaire de la mort.

Le contenu musical de ces rituels varie selon la région et l’appartenance ou pas du défunt à une fraternité. Tous les rituels funéraires sont basés sur le rosaire qui dans certaines régions, peut être partiellement chanté. Les tambours palos sont joués pour les membres des confréries afro-dominicaines ou pour toute personne qui en fait la demande.

Neuvaine finale par la cofradía de l’Esprit Saint de Villa Mella (avec leurs tambours congos).
© Martha Ellen Davis

"Angelito, vete" (M. E. Davis, 1973)
"Angelito, vete" chanté au retour de l'enterrement d'un enfant par ses amis (enregistré à Los Cacaos, Samaná).

 

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SOMMAIRE
1. Panorama de la religion populaire dominicaine et de sa musique
2. Les confréries religieuses afro-dominicaines (cofradías) et leur musique palos
3. Étude de cas : la confrérie de Saint-Jean-Baptiste de Baní et sa sarandunga
4. La fête de saint dominicaine (velación) et sa musique
5. La danse aux tambours palos (baile de palos)
6. Musique palos transnationale... des racines dans le vent !
Illustrations musicales
Bibliographie

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par Dr Martha Ellen Davis
Archivo General de la Nación (Dominican Republic) & University of Florida (USA)

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2018