Ady Gatoux (2019)

Interview audio Laméca

Ady Gatoux (2019)

Propos recueillis par Marie-Line Dahomay (Laméca) le 9 septembre 2019 à la Bibliothèque Départementale de Fouillole (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe), en prévision de la manifestation Diks-La Si Do consacrée au cd d'Ady Gatoux Le rythme takouta. Lewoz a lizin' (Ady Gatoux, 2019).
Durée : 95 mn

Ady Gatoux en 2019.
© Médiathèque Caraïbe (Laméca)

Une interview du programme de collecte de la mémoire orale des musiques en Guadeloupe (fonds Palé pou sonjé), mené par Laméca depuis 2005.
Après traitement, les interviews de ce programme sont disponibles pour une écoute sur place à l'espace musique & cinéma de Laméca. Certaines sont mises en ligne sur ce site, partiellement ou dans leur intégralité.

Flyer de la manifestation Diks-La Si Do du 27 septembre 2019.

 

A propos d'Ady Gatoux

Né en 1950, Ady Gatoux est issu d’une famille où la musique tient une place prépondérante et qui est nourrie d’une grande foi chrétienne. Véritable conservatoire comptant deux virtuoses, ce clan familial nourrit la culture musicale du tout jeune Ady, tant par l’apprentissage du piano et du solfège, que par l’approche de genres variés, notamment la musique classique, le gospel et le jazz. Au grand dam de son père, Ady choisira la musique gwoka dès l’âge de 15 ans, ne pouvant résister à l’appel du tambour de Vélo qu’il ne se lassait pas d’écouter devant le cinéma La Renaissance quand il revenait de l’école.

Un profond sentiment d’injustice anime aussi ce choix, quand il assiste trois fois de suite à l’arrestation de cet illustre percussionniste. Ady décide alors de porter son concours à la musique des vyé nèg, auprès de Vélo, Arthème Brabant, Jocelyn "Linlin" Hubbel, Benito... Il s’exerce d’abord sur des garde-boues de voiture puis sur le tambour d’Alix Jovial. C’est à Jabrun (Baie-Mahault), auprès de Guy Conquet, qu’il approfondit sa connaissance des sept rythmes du gwoka. À cette époque, Jabrun représente une « école » d’apprentissage du gwoka pour des jeunes Pointois tels, Jocelyn "Linlin" Hubbel, Ady Gatoux, Jacques-Marie Basse, Joël Nankin. Ils venaient de Pointe-à-Pitre à pied, si assoiffés de connaissances (et sans doute en quête de racines) qu’Ady demande à Guy Conquet d’intégrer le « Groupe Ka » bénévolement.

Quatre ans durant, il reste fidèle à ce groupe qui se produit en divers lieux de la Guadeloupe, voire en Martinique. Au fil des années, de par sa formation musicale initiale, il acquiert une perception rythmique différente qu’il exerce en comité restreint avec Jocelyn "Linlin" Hubbel et d’autres percussionnistes. C’est ainsi que naît le groupe Takouta qui marquera d’emblée par son originalité dans des prestations de « léwòz transcendants » suscitant un recueillement de l’assistance qui se passe d’applaudissements.

Le groupe Takouta introduit une approche nouvelle de la musique gwoka par la transe. Cet état de conscience éveillera le désir d’approfondir l’expérience des rythmes. Parallèlement, cette approche du tambour gwoka permettra à Ady de développer une forme de communication avec les ancêtres. C’est ainsi qu’il reçoit un jour un message, disant que le groupe devrait s’exiler afin d’apprendre les rudiments de la vie à la campagne. Le gwoka étant né autour des plantations et Takouta regroupant essentiellement de jeunes citadins, cette action aurait permis à leur musique d’acquérir une plus grande authenticité.

Au début des années 1970, Ady Gatoux accompagné de Michel Halley, Frantz "Isteng Bwendeng" Camphrin, Jocelyn "Linlin" Hubbel et Jean-Pierre "Mawso" Sabine, partent donc s’installer d’abord à Marie-Galante, puis à La Désirade en pleine montagne. François Printemps les initie à la fabrication du charbon, à l’agriculture, planter, bityé tè… Ils pratiquent intensément diverses activités sportives. Ady en tant qu’aîné, assume la responsabilité du groupe. Ayant appris la couture auprès de son père, il confectionne des vêtements pour subvenir aux besoins élémentaires.

Le groupe Takouta à La Désirade en 1973.
Premier plan, de gauche à droite : Ady Gatoux, Jocelyn "Linlin" Hubbel, Michel Halley.
Deuxième plan, de gauche à droite : Jean-Pierre "Mawso" Sabine et Frantz "Isteng Bwendeng" Camphrin.
Collections Michel Halley

L’approfondissement du son devient permanent, ainsi que le travail de recherche polyrythmique à partir d’une instrumentation composée uniquement de trois tambour gwoka, un chacha et un tibwa. Emerge alors une polyrythmie originale qu’ils nomment Takouta, pouvant se conjuguer aux rythmes du gwoka. Ainsi naissent le Takouta-graj, le Takouta-woulé, le Takouta-toumblak…

Grâce au Takouta, le groupe acquiert une telle puissance rythmique qu’il provoque autour de lui des réactions inattendues. Un jour un handicapé qui les écoute se lève brusquement de son fauteuil roulant. Une autre fois, c’est un cabri qui se dresse sur ses pattes arrières pour danser. Le groupe comprend alors qu’il a atteint le summum de ses attentes et décide de rentrer en Guadeloupe, après deux ans et demi d’absence.

L’exil leur a permis de gagner en maturité. Ils reviennent plus « campagnards », plus proches de la nature. Ils se produisent en divers communes en revendiquant leur appartenance désiradienne. Takouta affiche aussi un esprit contestataire en s’imposant par exemple dans des lieux qui leur sont refusés tel le Hall des Sports de Pointe-à-Pitre, ou devant la maison de Gérard Lockel pour démontrer que les jeunes de la ville savent eux aussi jouer du gwoka. Suite à une prestation en Martinique, le groupe intègre une forme de grosse caisse fabriquée par Frantz "Isteng Bwendeng" Camphrin qui renforcera les sons graves.

La rencontre avec Vélo sera déterminante. Takouta s’engagera désormais dans la défense de ce virtuose, le seul percussionniste capable d’improviser sur leurs rythmiques. A la même période, un martiniquais installé en Guadeloupe et qui s’occupait de Vélo, Christian Mathurin intègre l’entourage du groupe. Takouta se disloquera progressivement jusqu’à la mort de Vélo en 1984.

De gauche à droite : Jocelyn "Linlin" Hubbel, Marcel "Vélo" Lollia et Michel Halley, à l'époque du groupe Takouta.
Collections Michel Halley

Au cours des années 1987-88, Ady Gatoux part au Canada rejoindre sa sœur Agnès Williams. Il renoue avec le gospel et l’étude de la musique.

De retour en Guadeloupe, il intègre la troupe folklorique Caribana où il approfondit son approche de la biguine deux années durant.

Aujourd’hui Ady vit en France où il poursuit la mission musicale qui le porte. Il se consacre uniquement au jazz, berceau de son sens musical. Le gwoka qui fut pour lui « un volcan rythmique » demeure une richesse qu’il n’hésite pas à « boula » sur le piano quand il doit apprendre certains thèmes standards.

 

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© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2020