II. Histoire du carnaval à Cuba – 3. Le carnaval des Blancs

Dossier Laméca

Le carnaval à Cuba

II. HISTOIRE DU CARNAVAL A CUBA
3. Le carnaval des Blancs

 

À La Havane, pendant très longtemps le carnaval des Blancs et celui des Noirs ont été séparés et célébrés à des dates différentes. Quand, à la fin du XIXe siècle, ils furent réunis sur une seule période, on continua à avoir deux types d’activités carnavalesques, deux types de défilés. Le carnaval des Blancs, lui, était l’occasion de nombreux bals masqués dans des salons, des sociétés, des clubs, des théâtres où l’on dansait, mais également de défilés, costumés ou non, dans lesquels prédominait l’usage de calèches, voitures à bras et palanquins (quitrines). La plus ancienne référence à l’existence de bals masqués blancs serait 1792. Chaque classe sociale de la société européenne avait ses propres lieux de festivités, les nobles dans leur palais, les classes moyennes dans des liceos, tertulias, casinos, centros, uniones, fraternidades, etc.

Carnaval cubain 1950 avec chars publicitaires.
Source : vimeo

Les festivités des Blancs lors du carnaval comprenaient également l’élection de la Reine du Carnaval, participant au défilé sur son char. Les personnages déguisés dans les défilés blancs, parfois à cheval, étaient connus sous le nom de mamarrachos. La tradition espagnole de jeter de l’eau, des œufs (parfois remplis de parfum), ou de la farine s’est transformée en jets de fleurs, puis plus tard de confettis et de serpentins. Les défilés des Blancs étaient empreints d’une considérable excentricité. On les nommait dans les temps anciens carnestolendas, mot devenu synonyme de carnaval. À La Havane, ils avaient lieu au-delà de la muralla, enceinte fortifiée entourant la ville, sur les avenues Isabel II, la Calzada de Reina, ou sur le Champs de Mars, mais aussi à l’intérieur de la ville sur l’Alameda de Paula (à l’intérieur de la Baie), et plus tard sur le Malecón, à partir du début du XXe siècle. Ces défilés de voitures décorées de fleurs convergeaient vers le Teatro Tacón, où de grands bals de soirée étaient donnés, qui clôturaient les journées du carnaval.Les classes blanches inférieures se réunissaient dans les théâtres, où parfois la jeunesse libertine de haut-rang venait se mêler au peuple, sous couvert de déguisements. Le Teatro Tacón fut construit en 1836 le long de la grande avenue Isabel II, baptisée ensuite Paseo del Prado, dans l’aménagement de l’espace qui longeait les murailles de la vieille ville du nord au sud. Il fut le haut lieu des grands bals du carnaval havanais, comme avec lui les théâtres Diorama, Tivoli et Villanueva, ou le Café La Lonja.

Plus tard, les Blancs prendront l’habitude, dans leurs bals masqués comme dans leurs comparsas, se déguiser en Noirs, en se peignant le visage et le corps, comme le faisaient les Minstrels américains de la Nouvelle-Orléans, populaires à Cuba au milieu du XIXe siècle. En faisant cela, abandonnant leur préjugés raciaux ils donnaient la preuve que, dans une certaine mesure, ils appréciaient ce que les Noirs avaient l’habitude de faire dans leurs défilés, ou tout au moins ils les reconnaissaient comme partie intégrante du patrimoine national. Le Noir africain, le guajiro blanc, le Moro (esclave mandinga musulman) avec ses costumes et ses turbans de soie, la femme noire (Lucumisa) vendeuse de denrées alimentaires dans la rue, le Chinois, le Diablito abakuá, souvent confondu avec Arlequin, sont devenus autant de personnages emblématiques dans les carnavals, et du coup autant de déguisements potentiels pour les Blancs. Peu à peu, Noirs, Blancs et Asiatiques se sont rapprochés dans le fait carnavalesque cubain et se sont construit un patrimoine national commun.

LIEN MORT : Carnavals anciens La Havane.
Source: vimeo

Jusqu’au début du XXe siècle, nous l’avons dit, il y avait dans la capitale deux carnavals séparés: celui des Noirs et celui des Blancs. Dans les défilés des Blancs, l’automobile a naturellement pris la place des voitures tirées par des chevaux, comme on peut le voir sur de nombreuses photos. Les chars de défilé motorisés n’en seront que le prolongement, pouvant porter toujours plus de gens et de décors, se transformant peu à peu en scènes ambulantes. Avec le temps et l’afflux de touristes à Cuba dans la première moitié du XXe siècle les carnavals havanais se transformeront : de trois ou quatre dimanches on passera à huit dimanches - soit deux mois de carnaval - avec des festivités très diverses, dont de nombreux feux d’artifices. Des kilos de confettis et serpentins joncheront le Malecón chaque fin de semaine.

Les orchestres du carnaval blanc jouaient au XIXe siècle dans les bals des contradanzas, menuets, valses et rigodons, jusqu’au dimanche de l’enterrement du carnaval. Au XXe siècle apparaîtront de nouvelles "musiques blanches" urbaines: le danzón puis le son, la habanera, la trova tradicional, qui connaîtront toutes leur heure de gloire, adoptant parfois une thématique afro-cubaine souvent appréciée, puis, s’accaparant tous ces styles, viendront les jazz-bands cubains construits sur le modèle américain.

De nombreuses comparsas de Blancs défileront dans le carnaval, dont beaucoup seront issues de clubs sociaux ou d’association catholiques, perpétuant des traditions basques, galiciennes, canariennes, etc… Des troupes venus de l’étranger défileront également, dont de nombreuses fanfares américaines, surtout pendant la période où les USA domineront Cuba, alors que les comparsas noires, elles, resteront interdites au carnaval entre 1913 et 1937. Jusqu’en 1940 les musiques noires de Cuba resteront bannies et confinées dans les quartiers pauvres. Ce ne sont que dans les "musiques blanches" que les musiciens noirs pourront tenter de se faire une place, alors que dans les orchestres la grande majorité des musiciens sont blancs.

Le défilé des comparsas n’était qu’une partie des nombreuses festivités du carnaval havanais, surtout à une époque où celui-ci se déroulait sur deux mois, dans les années 1940. Le long du Malecón on voyait successivement l’élection de la Reine avec toutes les candidates, les défilés des chars publicitaires des firmes commerciales, les prestations des différentes corporations et associations reconnues par l’état. La municipalité havanaise pouvait y faire figurer de nombreux évènements, comme les parades de la police à moto – tradition qui dure encore aujourd’hui – et des démonstrations des pompiers.

LIEN MORT : Conga par l'orchestre Casino de la Playa, 1942.
Source: youtube

La période 1937-1959 est la plus riche en évènements pour le carnaval de La Havane. Il se déroule sur un mois ou deux, de préférence le samedi et le dimanche. On peut séparer celui-ci en trois parties distinctes :

- un carnaval diurne "privé" "de Blancs" motorisé, dans lequel tous les Havanais possédant une voiture ou un autre mode de transport (cheval, calèche, moto, camionnette, camion, etc…) peuvent, déguisés ou non, ayant ou non décoré leur véhicule, participer à des défilés sur le malecón donnant parfois lieu à de monstrueux embouteillages. Ces soirées se terminent en bals masqués et en festivités dans les bars, restaurants, cabarets, et dans tout établissement désireux d’attirer une clientèle de fêtards étrangers ou cubains.

- un carnaval nocturne "public" de chars publicitaires, ou de grandes marques, "blanc" également car les participants ont de considérables moyens, et dans lequel apparaissent encore quelques comparsas de Blancs sur leurs voitures, appréciées pour leur originalité ou leurs déguisements.

- un carnaval nocturne de "comparsas traditionnelles", métissé car Blancs et Noirs n’y sont plus séparés, où apparaissent de plus en plus de chars gigantesques, dont les plus grands appartiennent à des firmes industrielles, à capitaux américains, défilant avec les anciennes comparsas, portant de nombreux orchestres.

Bien évidemment, à l’époque, il est encore rare que des gens de couleur figurent sur les chars et participent à la partie "blanche" du carnaval, où l’argent règne et où les pauvres sont exclus et relégués parmi les rangs du public. On verra les musiciens de couleur (et très rarement des danseurs de couleur) seulement dans les cabarets, les restaurants et les clubs où se relaient les meilleurs orchestres de Cuba, mais en grande majorité, les orchestres sont toujours composés de blancs ou de métis clairs de peau.

 

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par Patrice Banchereau

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2012