Dossier Laméca

Fonds romans Laméca

un guide de lecture en 16 auteurs caribéens

 

 

« ‘We live like kings in this place, but you take everything for granted,’ he answered her disagreeably. ‘This island is paradise, and you’re not even aware of it. In Spain one must do without such comforts, and we never complain about it.’ »
Sweet diamond and dust, p. 11

 

Présentation de l’auteure

Voix féminine et féministe imposante de la littérature hispanophone, Rosario Ferré est née en 1942 dans la ville de Ponce à Porto-Rico. Issue de la bourgeoisie portoricaine, elle fait ses études aux Etats-Unis à une époque où la société n’encourageait pas les femmes à faire des études supérieures, encore moins à l’étranger. La vocation de l’écriture lui vient du besoin de s’affranchir de toute forme d’autorité et d’atavisme culturel. C’est cette assurance qu’elle souhaite transmettre à ses consœurs écrivaines, mais aussi à ses lecteurs et particulièrement aux lectrices qui subissent une forme de domination masculine. Comme bon nombre de portoricains dont le destin est lié à celui des Etats-Unis, elle y vit plusieurs décennies avant de revenir sur son île natale. Ainsi, elle publie en langues espagnole et anglaise de la poésie, des nouvelles, des romans et des essais et est primée plusieurs fois, à l’instar du Liberatur Prix à Francfort en 1992.

Présentation de l’œuvre

Lorsque Rosario Ferré publie ses premiers romans dans les années 1970, peu de femmes l’ont précédée dans la littérature latino-américaine même si l’on peut citer quelques-unes des grands plumes féminines à l’instar de l’Argentine Sylvina Campo, ou de sa compatriote Olga Nolla. Ainsi, le projet littéraire de Ferré se conçoit sous le prisme d'un militantisme mettant en relief les tensions discriminantes entre les sexes, classes ou races, au sein d’une société pourtant démocratique. C’est le cas dans La Maison dans la lagune ou dans Liens excentriques. Pratiquant plusieurs genres littéraires, Rosario Ferré fait entendre un point de vu féminin contrebalançant le modèle hégémonique patriarcal. Retracer l’histoire récente des générations antérieures jusqu’à nos jours, permet à l’auteure de mieux appréhender les causes actuelles des inégalités.

Un angle féministe

Rosario Ferré fait prévaloir dans l’acte d’écrire la cause des femmes, en mettant en lumière leur statut, leurs sentiments, et surtout leurs aspirations à plus de liberté dans la société portoricaine. L’histoire de l’écrivaine se mêle à celle de ses personnages notamment par la voix de la narratrice Elvira dans Liens excentriques, qui dresse les portraits des membres de sa famille tant du côté de la branche maternelle des Rivas de Santillana, magnats de l’économie de plantation que la branche paternelle des Vernet dont le grand-père arrivé démuni de Cuba, a fini par dominer le secteur industriel avec ses fils. En faisant remonter les premiers personnages de cette généalogie à la fin du 19e siècle, l’auteure se focalise également sur le sort des femmes et de leur présence reléguée toujours à l’ombre des hommes en matière d’affaires publiques. Dans ses romans, la plupart des femmes, en dépit de personnalités, niveaux d’éducation ou milieux sociaux distincts, ont caressé le désir de liberté avant de se résigner à occuper la place attendue d’elles sauf rares exceptions. En réalité, le choix non orthodoxe de s’affranchir d’un père, d’un frère, d’un mari ou de l’Eglise catholique les marginalise de facto.

En dépit du rattachement aux Etats-Unis en tant qu’Etat autonome non souverain, l’éducation, le travail et plus généralement le statut des femmes sont loin d’être paritaires à Porto-Rico comme le suggère ce passage : « Elle se rappelait encore avec rage la façon dont son père l’avait condamnée à l’analphabétisme pour la forcer à prendre soin de lui. Mais, malgré le grand progrès que représentait l’instruction féminine, les femmes éduquées de bonne famille ne trouvaient jamais de travail. En fait, le mariage était alors l’unique profession qui leur fût accessible. » (Liens excentriques, 178). Rosario Ferré crée un parallèle dans son œuvre entre d’une part, la tutelle politique qui confère à Porto-Rico un statut particulier où la culture américaine et l’héritage espagnol se disputent une place ambivalente ; et d’autre part, le statut de la femme dont les choix de vie ne lui reviennent que partiellement.

La saga familiale – un genre prisé

A bien des égards, les contours historiques, socio-politiques se dessinent avec plus de précision à travers ces fresques de familles bourgeoises. Ainsi, il est souvent question de dynasties dans les romans de Rosario Ferré, elle-même fille de l’ancien gouverneur de l’île de Porto-Rico Luis Ferré, que ce soit dans Liens excentriques, La maison de la lagune ou Sweet diamond dust. A partir de la fin du 19ème siècle, à travers plusieurs générations d’hommes et de femmes, s’incarne le Porto-Rico d’aujourd’hui - à mi-chemin entre les économies déclinantes de plantation et d’industrialisation, -. Ces chroniques de vies rappellent le combat de femmes et d’hommes visant à améliorer leur quotidien dans un système à bout de course, à l’origine d’une émigration massive vers les Etats-Unis. Grâce à la plume de Rosario Ferré, le lecteur perçoit les anecdotes qui émaillent les temps forts des transformations sur le plan social et historique de l’île, et également les personnages en place, restituant l’esprit dans lequel les grandes orientations politiques et sociétales ont été décidées : « 1937 connut une série d’événements funestes. Les nationalistes, qui revendiquaient l’indépendance à tout prix, multipliaient les attaques contre les États-Unis. Partout dans la capitale, des tueurs cachés dans des Oldmobile noires tiraient des rafales de mitraillette qui résonnaient dans les rues. Les fédéralistes, les autonomistes et les indépendantistes, somnolant dans leurs douces illusions locales, furent réveillés par le très sulfureux et impétueux Albizu Campos. » (La maison de la lagune, 128)

L’intervention de narratrices reconstituant les puzzles de ces sagas familiales, accentue l’impression de spontanéité dans ces romans. En effet, privilégiant parfois le mode de la confidence intimiste, l’auteure n’en relate pas moins des périodes clés de l’évolution de Porto-Rico, sa place dans la Caraïbe et son rapport avec les Etats-Unis.

Mots clés

Porto-Rico • Etats-Unis • Saga familiale • Roman historique • Industrialisation • Féminisme • Identité • Révolution • Poésie • Essais • Anglais • Espagnol • Condition Féminine • Race • Engagement • Militantisme • Discrimination

Bibliographie sélective

  • Sweet Diamonds Dust and other Stories, New York, Penguin Books, 1996.
  • La maison de la lagune, Paris, Seuil, 1998 (traduction française).
  • Liens excentriques, Paris, Stock, 2000 (traduction française).

Pour aller plus loin

Extraits

Plus que les débordements d’imagination d’Isabel, le manque de professionnalisme de sa femme l’ulcérait. Non contente de se transformer en cleptomane intellectuelle, elle pillait, plagiait, transformait sans vergogne les informations historiques qu’il lui avait fournies. Ce qu’elle racontait dans le deuxième chapitre au sujet de la citoyenneté américaine des portoricains en constituait un parfait exemple.

Il notait avec amertume que, en outre, elle ne lui témoignait pas la moindre reconnaissance. Quintín lui avait pourtant raconté une foule d’anecdotes familiales.

La maison de la lagune, p. 77

 

Le livre, qui connût un franc succès, persuada le public américain que les Etats-Unis avaient fait une bonne affaire en acquérant cette espèce de Suisse caraïbe où les gens parlaient espagnol et mangeaient du port, du riz et des haricots rouges.

Tout n’était pas aussi benoîtement helvétique. 1937 connut une série d’événements funestes. Les nationalistes, qui revendiquaient l’indépendance à tout prix, multipliaient les attaques contre les États-Unis. Partout dans la capitale, des tueurs cachés dans des Oldmobile noires tiraient des rafales de mitraillette qui résonnaient dans les rues. Les fédéralistes, les autonomistes et les indépendantistes, somnolant dans leurs douces illusions locales, furent réveillés par le très sulfureux et impétueux Albizu Campos.

La maison de la lagune, p. 128

 

Si la famille avait tenu compte des excentricités de grand-mère Valeria, je n’aurais sans doute pas insisté sur ce détail. Depuis l’arrivée des Américains dans l’île, les arbres de Noël s’étaient popularisés. Les gens les préféraient aux crèches d’antan. Les sapins étaient transportés en bateau du Canada après une traversée de six jours en haute mer. Valeria trouvait cette coutume totalement absurde.

Liens excentriques, p. 50
 
 

Valeria était d’accord avec les religieuses à condition que les femmes s’instruisent avant leur mariage. Elle se rappelait encore avec rage la façon dont son père l’avait condamnée à l’analphabétisme pour la forcer à prendre soin de lui. Mais, malgré le grand progrès que représentait l’instruction féminine, les femmes éduquées de bonne famille ne trouvaient jamais de travail. En fait, le mariage était alors l’unique profession qui leur fût accessible.

Liens excentriques, p. 178

 

And so they came to this ancient isle in the middle of the Caribbean, a primitive, cannibal sea, to give a generous helping hand to those so long forsaken by the Spanish God. It’s true that they brought the island’s bourgeoisie to its keens, but as political and civil leaders they were no-good lot to begin with, full of false pride and patriotic feelings when it came to singing the glories of their emerald reefs pinned on the sapphire breast of the sea, but lazily ignorant of those scientific and technological advances of agriculture and industry with which they could truly help their country, and utterly devoid of compassion for their fellow human beings. Because the truth is, Don Hermenegildo, that when the northeners landed here, of planting and reaping were so primitive, under a sky that simmered like a cauldron of live coals over one’s head, that the only way for the field hands to survive the heat and the hunger was by carrying small flasks of rum slung from their necks, so that they could take a swig every time they felt the earth under their feet. Although slavery had been abolished, they were obliged to cut at least four hundred kilos of sugarcane a day, their meager wages could only be taken on credit at the company store, and they were whipped for the least infraction of company rules. In other words, the souls of thousands of field hands were wafted away to the sky by those selfsame proud, blue smokestacks, which you have so romantically described in your novels about Guamaní’s haut monde.

Sweet Diamond Dust, p. 68

Facts have a strange way of facing down fiction, Titina, and if Don Hermenegildo’s aborted novel was to have been a series of stories that contradicted one another like a row of falling dominoes, our story, the one we’ve taken the authority to write, will eradicate them all, because it will be the only one in which word and deed will finally be loyal to each other, in which a true correspondence between them will finally be established.

Sweet Diamond Dust, p. 82

 

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SOMMAIRE
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par Dr Ayelevi Novivor

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