Dossier Laméca

Fonds romans Laméca

un guide de lecture en 16 auteurs caribéens

 

 

« Flavio avait payé durant des années des cotisations obligatoires à la caisse de prévision sociale, une compagnie d’Etat d’assurances maladie ou de braqueurs de la santé, et quand il avait pris sa retraite, histoire de ne pas avoir payé tant d’argent pour rien, il s’était inventé une maladie du cœur. On lui fit toute sorte de bilans et rien du tout, il avait un cœur de vingt ans. Alors, furieux, se sentant floué, il engagea contre la caisse de prévision une action de tutelle, et après un procès qui traina pendant deux ans il gagna, et on dut l’opérer comme il le voulait : à cœur ouvert, en transformant une veine de sa jambe en aorte : il mourut pendant l’opération. »
Carlitos qui êtes aux cieux, p. 44

 

Présentation de l’auteur

Ecrire et parler librement sans craindre la censure, telle est la vocation originelle de Fernando Vallejo. Né à Medellín en Colombie en 1942 dans une famille conservatrice, Fernando Vallejo a fréquenté des écoles religieuses catholiques, façonnant progressivement son regard particulièrement critique envers l’institution. A contre-courant de la sensibilité politique de son père - Aníbal Vallejo Álvarez, ex-ministre et directeur du journal conservateur El Poder -, Fernando Vallejo étudie la biologie, puis part à la découverte d’autres pays, dont l’Italie. Il s’installe dès le début des années 1970 à Mexico, devenu sa cité d’adoption d’où la plupart de ses œuvres sont produites. Grand pourfendeur de l’Eglise catholique et sans concession vis-à-vis de la société colombienne, Fernando Vallejo rompt avec ses premières attaches, difficilement compatibles avec l’expression de ses griefs et l’épanouissement de son homosexualité.

Présentation de l’œuvre

A rebours de grands noms de la littérature latino-américaine tel que l’Argentin Jorge Luis Borgès, l’œuvre de Vallejo s’en s’inspire dans un mécanisme de désintégration des fanions du réalisme magique. Entre athéisme et nihilisme, les romans de Vallejo revisitent sous un œil critique l’histoire contemporaine de la Colombie tant sur le plan politique que social. Une atmosphère pessimiste imprègne ainsi l’ensemble de ses écrits autobiographiques comme de fiction. Dans Carlitos qui êtes aux cieux, Almas en pena, chapolas negras ou La Vierge des tueurs, l’auteur fait transparaître sa fascination pour des personnages ténébreux aspirés par les tréfonds de la société colombienne. Fernando Vallejo a reçu le prix Romulo Gallegos en 2003 pour son roman Et nous irons tous en enfer.

Un univers implacable

Sans doute parce qu’il est lui-même homosexuel, l’auteur accorde une place de choix aux personnages partageant cette orientation sexuelle. Son célèbre roman La vierge des tueurs, adapté au cinéma par le réalisateur Barbet Schroeder, en est un exemple. Il a scandalisé certains milieux conventionnels lors de sa parution. Le protagoniste, un écrivain paumé, tombe amoureux d’un tueur sanguinaire avec qui il perpétue de manière arbitraire, des crimes sanglants dans Medellìn pour des raisons hermétiques aux yeux de la société. Subissant les affres du déterminisme social, le jeune Alexis est enrôlé dans des trafics depuis son plus jeune âge. Né pauvre, sans ressorts émotionnels stables, Alexis n’a d’autres activités que criminelles. Pour lui, point de salut ou d’horizons radieux. Il tient momentanément les rênes ténues de sa vie, placée sous le sceau d’une mort inévitable et prochaine. L’omniprésence de la violence entretient un cycle infernal, révélant partout la contamination de tous les interstices de la société tel que cet exemple l’illustre. « Mais quelle diable d’église aurait bien pu être ouverte ! On les ferme à double tour pour qu’elles ne soient pas pillées. Il ne nous reste plus à Medellin une seule oasis de paix. On dit qu’ils braquent les baptêmes, les mariages, les veillées funèbres, les enterrements. Qu’ils tuent au beau milieu de la messe ou à l’arrivée au cimetière les vivants qui accompagnent le mort. » (La vierge des tueurs, 31). Il n’existe donc plus de remparts contre les organisations criminelles. Ni l’Eglise, ni dieu, ni le diable n’entre en jeu dans l’équation du déferlement de meurtres qui s’abat à Medellìn. Le recours à l’oxymore dans le titre La vierge des tueurs, confirme cette hypothèse. Symboliquement, il relève davantage d’une charge contre un pouvoir attentiste face à une situation inexorablement déliquescente, qu’à une entité protectrice des criminels. Comme il arrive souvent pour les auteurs qui connaissent une forme d’exil à l’instar de Fernando Vallejo, le regard âpre qu’ils portent sur leur pays natal, renvoie paradoxalement à un sentiment complexe d’amour déçu plutôt qu’à une forme de rejet viscéral.

Un narrateur du nom de Vallejo

Les narrateurs loquaces de Vallejo sont mis en scène dans des espaces exigus. L’absence de chapitres caractérisant certaines œuvres telles que La vierge des tueurs ou Carlitos qui êtes aux cieux, accentue l’autonomie en vase clos du narrateur sur l’auteur. Sur fond autobiographique, plusieurs passages abordent le rapport de l’auteur à l’œuvre par le biais de ses narrateurs, comme le révèle cet extrait : « La trame de ma vie est celle d’un livre absurde où ce qui devrait se passer d’abord se passe après. C’est que ce livre, mon livre, ce n’est pas moi qui l’ai écrit, il était déjà écrit : simplement je l’ai accompli, sans rien décider, page après page. Je rêve d’au moins en écrire la dernière, avec un révolver, de ma propre main, mais les rêves sont des rêves et peut-être même pas celle-là… », (La vierge des tueurs, 24). L’aveu d’impuissance du narrateur témoigne de l’imperméabilité de la mission qui lui incombe étant donné les événements déplaisants qu’il relate sous l’emprise d’une autorité supérieure. Cette réflexion quasi hallucinatoire paraît coïncider avec les tiraillements de l’auteur, qui s’est distancé de son pays en raison de son orientation sexuelle assumée, et en raison de la violence chronique imputable aux cartels de la drogue. Cet éloignement géographique permet à l’auteur de mieux s’emparer de son sujet, dans le creuset d’une réalité à débusquer au moyen de la fiction.

Mots clés

Homosexualité • Réalisme magique • Athéisme • Autobiographie • Jorge Luis Borgès • Colombie • Violence • Pauvreté • Rébellion • Anticonformisme • Critique sociale • Religion catholique • Provocation • Adaptation cinématographique • Mexique • Drogue

Bibliographie sélective

  • Carlitos qui êtes aux cieux, Paris, Belfond, 2007 (traduction française).
  • La vierge des tueurs, Paris, Belfond, 1997 (traduction française).
  • Almas en pena, chapolas negras, Bogotá, Santillana, 1995.
  • El mensajero. Una biografía de Porfirio Barba Jacob, Bogotá, Planeta, 1991.

Pour aller plus loin

www.biografiasyvidas.com/biografia/v/vallejo_fernando.htm

Extraits

- Carlos, comment dit-on « Internet » en latin ? Ca se dit ? C’est possible de traduire un mot vivant dans une langue morte ?

Carlitos qui êtes aux cieux, p.112

 

{…}, Ici tout ce qui existe est coupable, et s’il se reproduit d’autant plus. Les pauvres fabriquent encore plus de pauvres, la misère plus de misère, et plus il y a de misère plus il y a d’assassins, et plus il y a d’assassins plus il y a de morts. C’est la loi de Medellin, qui régira dorénavant la planète Terre.

La vierge des tueurs, p. 128

 

La trame de ma vie est celle d’un livre absurde où ce qui devrait se passer d’abord se passe après. C’est que ce livre, mon livre, ce n’est pas moi qui l’ai écrit, il était déjà écrit : simplement je l’ai accompli, sans rien décider, page après page. Je rêve d’au moins en écrire la dernière, avec un révolver, de ma propre main, mais les rêves sont des rêves et peut-être même pas celle-là…

La vierge des tueurs, p. 24

 

L’homme invisible se rappela ces rencontres d’objets magiques, insolites, dont rêvaient les surréalistes, comme par exemple un parapluie sur une table de dissection. Surréalistes stupides ! Ils ont traversé ce monde chastes et purs, sans rien comprendre à rien, ni à la vie ni au surréalisme. Ce pauvre surréalisme vole en éclats quand il rencontre la réalité colombienne.

La vierge des tueurs, p. 185

 

Cuando la criada vino por la mañana a despertarlo, a traerlo el té, lo encontró, muerto. ¡Ay poeta, y cómo vamos, sin rumbo fijo, ni cierto ni mentiroso, a la deriva en este mar de ruido! ¡Si todas la mentiras ya las gastamos, las devaluamos, y ya ni nos podemos engañar! Dios, el pueblo… ¡Cuál Dios, cuál pueblo! Dios no existe y el pueblo es la chusma paridora.

Almas en pena, chapolas negras, p. 10

 

La atracción hacia él, la más fuerte que sintiera, fue inmediata. No era física pues no hallaba nada físicamente atractivo en Arenales: toda la impresión en esté sentido en un comienzo fue la de que era un hombre priesto, de fisionomía repulsiva, pero al oírlo empezó a experimentar una gozosa angustia y por primera vez lo que los romanos llamaron el “raptus”, el vuelo de su espíritu más allá de sí mismo. Un año menor que Arenales, Arévalo habría de sobrevivirle casi día la figura de su lejano amigo se agigantaba más en su recuerdo. “Lo creo el poeta más grande de América - decía al final de sus días - . Rubén murió en tinieblas que no supo disipar su intuición. Barba Jacob sí las disipó. Él sabía desde muy joven todo lo que un hombre puede saber… Yo supe tanto como él muy tarde: a los sesenta y cinco años.” Bueno, cree él que supo… Conoció a Arenales y empezó a brillar como brilla un satélite con la luz de su estrella. A reflejar los destellos del otro.

El mensajero. Una biografía de Porfirio Barba Jacob, p. 107

 

Estaba yo recostado con Liítia en su cama charlando con ella uno de esos días en que no se levantaba porqué amanecía con la “ adinamia”, enterándome de los sucesos de Medellín y mi casa en los últimos años , quince o veinte, los de mi última ausencia. Quién se murió, quién se empobreció, quién se casó, quién enviudó, quién nació, llenándome el inmenso bache de mi ignorancia con esas pequeñas verdades eternas. Que fulanita (y no digo nombres porque a los calificativos que le dicté a Peñaranda para este libro, y que me pueden endilgar como sambenitos, les quiero agregar otros tres: delicado, prudente y discreto) que fulanita dejó al marido y a los tres niños, y se largó a Nueva York y se volvió puta. Que el curita tal de Envigado, ¿si te acordás?, que parecía tan bueno, colgó la sonata y se fue a vivir con una sinvergüenza.

Entre fantasmas, p. 118

 

______________________________________

SOMMAIRE
______________________________________

par Dr Ayelevi Novivor

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2017-2018