3. Félix Eboué, René Maran, Camille Mortenol, des figures emblématiques

Dossier Laméca

Administrateurs des colonies.
Des Amériques à l'Afrique (1880-1939)

3. FELIX EBOUE, RENE MARAN, CAMILLE MORTENOL... DES FIGURES EMBLEMATIQUES

 

Les deux administrateurs les mieux connus sont Félix Éboué (1884-1944) et René Maran (1887-1960); le premier pour avoir été Gouverneur Général de l’Afrique Équatoriale Française durant la Seconde Guerre mondiale et le second pour avoir été le premier écrivain noir couronné du prix Goncourt en 1921. Tous deux originaires de la Guyane, ils se retrouvent au lycée Montaigne à Bordeaux et entament leur carrière d’administrateur en Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine) à l’âge de 25 ans (1). Eboué part le premier en 1909 et est rejoint trois ans plus tard par Maran. Tandis que Maran appartient au cadre local, Éboué, en tant qu’ancien élève de l’École Coloniale, entre dans le corps des administrateurs des colonies.

Avant son arrivée en Afrique, René Maran a déjà entamé une carrière littéraire et publié deux recueils de poèmes. Une fois en poste, il se plaint assez vite du comportement raciste de collègues à son égard. Sa situation empire et devient intenable à la réception du prix Goncourt. "Batouala. Véritable roman nègre" (sous titre de l'édition originale de 1921 aux éditions Albin Michel) est en effet dénoncé par les milieux coloniaux qui y voient une critique intolérable de la politique coloniale française. Quatre ans après le Goncourt, Maran se voit contraint de démissionner.

Couverture de l'édition originale du roman de René Maran.

 

Portrait de René Maran (1887-1960).
TV5 Monde

 

Félix Eboué (1884-1944).

Félix Éboué fait partie de ceux qui l’ont soutenu. Tout comme son compatriote, il s’intéresse aux cultures des peuples africains et ils apprennent notamment le banda et le sango. Loin de se contenter des tâches incombant strictement à son rôle d’administrateur, Éboué, qui est membre de la société française d’ethnographie, publie les recherches qu’il mène avec son épouse, la Guyanaise Eugénie Tell-Éboué. Il est généralement considéré par sa hiérarchie comme un bon élément. En 1930, le lieutenant-gouverneur de Bangui estime qu’il est un administrateur “de grande valeur. Connaissant parfaitement l’indigène, sachant bien le conduire.” En tant que diplômé de l’École Coloniale, son évolution professionnelle est plus prestigieuse et rencontre moins d’obstacles que celle de René Maran. Ainsi, il est le premier noir à occuper un poste de Gouverneur, en 1936, sous le gouvernement du Front Populaire. Il est alors en poste en Guadeloupe. Nommé Gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale française durant la Seconde Guerre mondiale, il est à ce titre l’une des chevilles ouvrières de la politique du Général de Gaulle en Afrique.

Félix Eboué et le Général de Gaulle en février 1944 au cours de la conférence de Brazzaville (Congo, Afrique-Équatoriale française).
AFP

D’une manière générale, la hiérarchie administrative n’admet pas la critique; entrer dans l’administration signifie que l’on est prêt à soutenir et à œuvrer pour la politique coloniale française et les autorités coloniales ne sont très certainement pas prêtes à entendre les critiques des colonisés qui se trouvent dans cette administration.

Pour comprendre la position des originaires de Martinique, Guadeloupe et Guyane, il faut bien prendre en considération la dimension antillaise des prémisses de leurs parcours. Etant donné le poids du passé esclavagiste dans leurs pays d’origine, l’école et plus largement toute intervention de la France républicaine, est bien souvent considérée comme une avancée, un outil de lutte contre les exactions des anciens esclavagistes et leurs descendants.

Du point de vue français, faire entrer des descendants d’esclavagés au sein de l’administration coloniale est une expression directe de la politique coloniale. Il s’agit d’utiliser des hommes colonisés pour en coloniser d’autres. C’est une stratégie qui a été utilisée, entre autres en Afrique, avec l’envoi de corps militaires recrutés dans certaines régions pour mener des guerres au nom de la France dans d’autres régions du continent. Si ces troupes sont largement formées d’Africains, elles regroupent aussi des Antillais. Le Guadeloupéen Camille Mortenol (1859-1930) entre ainsi dans la Marine après avoir été reçu à la fois à St-Cyr et Polytechnique en 1880. À ce titre, il participe à des guerres de conquête au Gabon et à Madagascar. En 1886, tout en soulignant que Mortenol est “un officier très intelligent, plein de zèle actif, soumis, connaissance son métier à fond”, son supérieur hiérarchique note qu’il “a un peu tendance, bien naturelle d’ailleurs chez lui, à favoriser le personnel noir” et qu’il est “très ferme, un peu rude avec les Européens.”  La carrière de Mortenol est emblématique de celles de nombre d’administrateurs des colonies, dans la mesure où, malgré les recommandations favorables qu’il reçoit, il ne peut atteindre le grade de Commandant de vaisseau, échelon le plus élevé de sa hiérarchie. Le supérieur qui l’évalue en 1896, indique en effet: “la chose qui lui soit préjudiciable est sa couleur et je crois qu’elle est incompatible avec les positions élevées de la Marine”.

Sosthène Héliodore Camille Mortenol (1859-1930), élève officier guadeloupéen à l'école Polytechnique de Paris, photographie, 1878.
Wikipedia

 

Portrait de Camille Mortenol.
Ina

 

C’est souvent au moment de la retraite que les écarts de carrières avec leurs collègues blancs se font davantage remarquer. Le Guadeloupéen Pierre Capest quitte l’administration en 1905 pour infirmité, sa santé s’étant détériorée durant ses années de service, notamment à Madagascar, au Dahomey, et en Côte d’Ivoire. Il écrit alors une lettre amère au Ministre des Colonies, car il estime avoir sacrifié sa santé sans avoir reçu de compensations en retour.

La période allant des années 1880 à la fin des années 1930, marque les relations entre Africains et Antillais sur le long terme, non seulement du fait de la nature des fonctions occupées par les Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais, mais aussi parce que bien des familles s'établissent dans des pays d’Afrique sur plusieurs générations. Ce sont des tendances que l’on observe très tôt.  Ainsi, la famille Alexis s'installe au Sénégal dès la fin du 19ème siècle, avec tout d’abord Charles Alexis, qui décide d’y demeurer  avec sa famille, après avoir pris sa retraite en 1911. Son fils, Maxime entre lui aussi dans l’administration coloniale et, tout comme son père, prend sa retraite au Sénégal où, outre ses parents, demeurent aussi sa sœur et son beau-frère.

Loin de cesser avec la Seconde Guerre mondiale, les Antillais et Guyanais continuent d’entrer dans l'administration coloniale dans la seconde moitié du vingtième siècle. Ainsi le poète guadeloupéen Guy Tirolien est aussi administrateur des colonies de 1944 à 1960.

Guy Tirolien (1917-1988).
D.R. collection privée famille Tirolien

En 1988, Guy Tirolien évoque son action en faveur de l'Afrique post-coloniale (extrait d'une interview disponible à l'écoute sur ce même site >>>).

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(1) Éboué a tout d’abord été nommé à Madagascar où il a passé quelques mois en 1908.

 

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SOMMAIRE
1. L’administration coloniale au centre des évolutions économiques et sociales après la période esclavagiste
2. L'administration coloniale, des logiques multiples
3. Félix Eboué, René Maran, Camille Mortenol... des figures emblématiques
Liste des administrateurs coloniaux originaires de Martinique, Guadeloupe et Guyane nommés en Afrique entre 1880 et 1939
Bibliographie

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par Véronique Hélénon

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2021