“Troubles dans la mémoire de l’esclavage” par Jean-Luc Bonniol

Conférence audio Laméca

"Troubles dans la mémoire de l’esclavage. De la sédimentation des régimes mémoriels aux fractures actuelles de l’antiracisme."

par Jean-Luc Bonniol (2015)

Cours magistral de Jean-Luc Bonniol donné au D.P.L.S.H, Université des Antilles, Campus du Camp Jacob (Saint-Claude, Guadeloupe), jeudi 19 mars 2015, à destination des étudiants et du public intéressé.
Durée : 86 mn

De gauche à droite :
Josette Faloppe, Jean-Pierre Sainton et Jean-Luc Bonniol lors de son cours magistral au D.P.L.S.H (Université des Antilles, Campus du Camp Jacob) jeudi 19 mars 2015.
© Médiathèque Caraïbe

Objet de la conférence
Dans le recours croissant, durant les dernières décennies, à la notion de mémoire, une attention particulière a été portée aux usages politiques du passé. C’est dans ce cadre qu’a été récemment proposée, afin d’éclairer les politiques publiques de la mémoire, la notion de régime mémoriel, fondée sur la reconnaissance de matrices de sens qui organisent en systèmes symboliques des ensembles particuliers de souvenirs destinés à être partagés, fondant des appartenances et inspirant les actions des sujets concernés. Ce cadrage conceptuel est appliqué, dans une perspective évolutive, à la mémoire de l’esclavage, caractérisée, depuis 1848, par la sédimentation de plusieurs régimes mémoriels : dans un premier temps le régime mémoriel abolitionniste, en accord avec l’ethos d’une République unie, glorieuse et libératrice ; puis, à partir des années 1970 (s’étant surtout manifesté à l’échelle locale des Antilles…) le régime nationaliste/anticolonialiste, qui magnifie les héros de la résistance à l’esclavage : Marrons ou protagonistes des soulèvements populaires. Le plus récent est le régime victimo-mémoriel, apparu dans les années 1990 (d’abord dans la migration antillaise), impulsé par la mise en comparaison de la mémoire de l’esclavage avec le modèle mémoriel sacralisé de la Shoah, en référence aux souffrances endurées par les esclaves…
Ces régimes ne sont pas incompatibles entre eux et peuvent cohabiter en fonction de l’ajustement des différentes grammaires mémorielles portées par les acteurs évoluant dans le champ (pouvant notamment être assumés conjointement par la puissance publique…). Mais cet ajustement est source de frictions, génératrices de polémiques entre des acteurs qui s’affrontent en fonction des différents systèmes de sens mobilisés, comme l’illustre la récente polémique qui a vu la réactivation de la concurrence mémorielle entre mémoire de l’extermination des Juifs d’Europe et mémoire de l’esclavage. Est par là dévoilée une fracture profonde au sein même de l’antiracisme, divisant un camp dont on pourrait espérer qu’il fasse front commun contre l’ennemi principal, celui des forces qui s’affirment désormais comme clairement réactionnaires.
Jean-Luc Bonniol

A propos de Jean-Luc Bonniol
Jean-Luc Bonniol est anthropologue et historien. Il est professeur émérite d’anthropologie à Aix-Marseille Université, membre du Centre Norbert Elias (UMR 8562 du CNRS). Il travaille à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (Aix-en-Provence), après avoir enseigné de 1973 à 1982 à l’Université Antilles-Guyane, résidant successivement en Guadeloupe et en Martinique. Il est membre du Comité International des Etudes Créoles et du Conseil de rédaction de la revue L’Homme.
Son terrain principal, en tant qu’anthropologue, a concerné les sociétés créoles, et de manière privilégiée les Antilles de colonisation française. Partant du cas spécifique de petites populations insulaires (Terre-de-Haut des Saintes, la Désirade), il a poursuivi une réflexion au long cours sur l’objet "racial" et la persistance des modes coloniaux de catégorisation dans les sociétés post-esclavagistes. Il a, dans cette ligne, abordé le thème du "métissage", envisagé tant du côté de la dynamique des populations (saisie au travers des faits d’alliance et de procréation) que de ses représentations, tout en étendant sa réflexion au domaine du mélange culturel, ce qui l’a conduit à aborder au niveau théorique le thème de la "créolisation". La trace "colorée" de l’esclavage l’a également orienté, concurremment à la montée actuelle de fortes préoccupations sociales et identitaires à la fin des années 1990, vers la thématique de la mémoire de l’esclavage. Il a pu également, toujours dans le cadre des îles créoles (notamment à la Réunion), aborder le thème du paysage, scruté à la fois dans sa réalité matérielle et dans les représentations qui le constituent.

"Devenir descendant d’esclave. Enquête sur les régimes mémoriels" de Johann Michel, avec une préface de Jean-Luc Bonniol (Presses Universitaires de Rennes, 2015). Ouvrage disponible à Laméca.

Plus d'informations sur l'ouvrage (introduction à télécharger).

 

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