Dossier Laméca

Fonds romans Laméca

un guide de lecture en 16 auteurs caribéens

 

 

« A la suite de ces soirées, don Chicho comprit comment ces légendes impriment des réflexes de peur dans l’esprit des enfants. Lorsque de telles images se gravent dans leur mémoire, n’importe quel coin sombre peut provoquer chez eux l’épouvante. D’ailleurs, même les adultes vivent dans une tension, une peur permanentes, qui remontent à des temps immémoriaux. »
Noces de cendres, p. 175

 

Présentation de l’auteure

La littérature est arrivée presque par accident dans la vie de Milagros Palma, née à León au Nicaragua en 1949. Après des débuts universitaires aux Etats-Unis marqués par le sceau de l’indécision, elle s’installe à Paris et suis un cursus de lettres et d’anthropologie dont les travaux de recherche l’amèneront en Colombie. Ses centres d’intérêt explorent et cherchent à préserver entre autres, la symbolique du sexe dans les traditions orales des peuples indiens de l’Amazonie ainsi que chez les paysans latino-américains. Le contexte de la révolution sandiniste au Nicaragua galvanise l’ethnologue et la romancière, qui décide de retourner vivre dans son pays natal. Toutefois, face au désenchantement, elle revient s’installer en France, ce nouveau territoire qui inspire une partie de son œuvre. Elle fonde la maison d’édition Indigo & Côté femmes en 1986, axée sur la publication d’écrivaines ou la réédition d’œuvres épuisées. L’auteure publie plusieurs romans et essais anthropologiques qui lui valent le Prix international José Marti de l’UNESCO en 1999.

Présentation de l’œuvre

Sensible à la question féminine, aux problématiques liées au rapport entre les sexes, à la construction sociale du genre masculin et féminin, Milagros Palma se nourrit de ces thématiques dès ses premières œuvres dans les années 1980. Elle publie de nombreux essais, des romans ainsi que des anthologies. Parmi ses œuvres de fiction abordant ces questions sur le plan social et dans la sphère intime, Noces de cendres, La vie c’est comme ça. Le couronnement de son Prix international José Marti, représente la mise en lumière de son combat pour le droit des femmes, leur dignité. Sur le plan de l’écriture, la multiplicité des dialogues, ainsi que la part de symbolisme dans une atmosphère réaliste, sont particulièrement recherchées. Bien que bilingue, l’auteure fait le choix d’écrire en espagnol et d’être traduite en français.

Une narration à rebours

Milagros Palma privilégie une forme de narration ininterrompue pourvue de sauts rétrospectifs. L’absence fréquente de chapitre atteste d’un flot de narration continu, qui bouscule la temporalité de la trame narrative. Les structures se brouillent facilement, lorsque le fil conducteur tissé par les protagonistes n’est pas suivi avec méticulosité. Les redondances et énonciations répétitives semblent en effet, déborder les marges du récit. En réalité, l’auteure très influencée par ses travaux portant entre autres sur les traditions orales des peuples andins, amazoniens et latino-américains, s’imprègnent de ces modes narratifs non chronologiques. Son écriture suit un mouvement d’aller-retour comme l’illustre ces deux exemples : « Margarita vécut le passage funeste de la comète de Halley qui, en 1912, coïncida avec une famine terrible. » (Noces de cendres, 125). Suivi de : « Pendant cette année de sécheresse qui coïncida avec le passage de la comète Halley, la population mangea des racines, des tiges de plantes et même la pelure des fruits. » (Noces de cendres, 126). Les deux événements parcourent un circuit identique dans le mode de narration, avec un objectif désigné : revenir sur une même information en en modifiant certains éléments. Autrement dit, même lorsqu’une forme de narration, recourt au saut temporel ou à des distorsions chronologiques, les répétitions peuvent rythmer le récit ou apporter un éclairage nouveau sur un même événement. En revanche, les descriptions de personnages et lieux détaillés sont moins soumis à ces mécanismes rétrospectifs.

Violence masculine et contexte politique

Dans les romans de Milagros Palma, il existe une connivence entre les autorités morales et la domination masculine. L’auteure brosse les périodes-phares du 20ème siècle et souligne l’apprêté de la condition féminine aussi bien dans la sphère privée que publique. Les scènes de violences et soumissions récurrentes illustrent bien souvent la couverture des bourreaux par la religion catholique, les courants intellectuels ou révolutionnaires. Est incluse la libération des mœurs à la fin des années 1960, puisque ce mouvement a, sous la plume de l’auteure, desservi les femmes. Dans ce contexte, le constat de progrès est mitigé : les relations libres ont pu légitimer les infidélités et surtout développé un sentiment d’impunité en ce qui à trait aux relations avec des mineures relations avec mineure tant dans les sociétés d’Amérique latine, qu’en France selon Palma. Dans Noces de cendres, Don Chicho, personnage docte, doté d’une grande intelligence, applique à la lettre ses propres préceptes de domination masculine au prétexte que l’émancipation de la femme concourrait à la déshumanisation et à la déréliction de la société. Pour cela, il viole et bat son épouse, régit ses déplacements, contrôle ses fréquentations, lui interdit de travailler, en plus de réprouver toute coquetterie. La femme idéale de Don Chicho se situe aux antipodes de la représentation hyper féminisée de la femme d’Amérique latine. Par opposition, l’homme voue un respect pour la cause animale sans pareil, s’érigeant comme le premier des défenseurs. A travers ce personnage illuminé, Milagros Palma peint une réalité cynique où les deux protagonistes sont piégés, l’un dans des dogmes, l’autre dans une violence que cautionnent certaines hautes instances morales. D’ailleurs aux yeux de Feliza et d’une partie de son entourage, son mari apparaît comme monstrueux, dépourvu d’amour ou d’affection si ce n’est pour les animaux ; sa chienne étant mieux bien lotie que l’épouse. Pourtant, le même homme jouit d’une certaine respectabilité dans la société, tout juste taxé d’illuminé par quelques voix discrètes. Milagros Palma dépeint avec force conviction dans Noces de cendres ainsi que dans une grande partie de son œuvre les inégalités entre les hommes et les femmes.

Mots clés

Nicaragua • Préjugés Raciaux • Condition féminine • Féminisme • Dogmatisme • Religion catholique • Exil • France • Etats-Unis • Révolution • Oralité • Guerre • Misogynie • Injustice sociale

Bibliographie sélective

  • Noces de cendres, Paris, Indigo, 1992 (traduction française).
  • Un latino-américain à Paris, Paris, Indigo, 2003 (traduction française).
  • La vie c’est comme ça, Paris, Indigo, 2005 (traduction française).

Pour aller plus loin

  • http://gradiva.univ-pau.fr/live/membres/palma_milagros

Extraits

Feliza, derrière son comptoir où s’entassaient des bocaux remplis de biscuits, de cigarettes, de boîtes d’allumettes, de bonbons et de comprimés pour les maux de tête, regardait l’homme, captivée par ses manières, son aisance et son élégance vestimentaire. Sa maturité lui inspirait confiance.

« Dommage, pensa-t-elle, qu’il soit métis et plus foncé que moi, mais en fin de compte, c’est l’intelligence qui compte. »

A son âge, et surtout dans la situation où elle se trouvait, elle ne pouvait se permettre d’être trop exigeante ; comme dit le dicton, « faute de pain, on se contente de galettes. » Alors, au fur et à mesure qu’elle bavardait, avec une confiance inhabituelle, elle le laissa pénétrer dans son intimité, révélant certains détails sur sa personne.

Noces de cendres, p. 43

 

En outre, sa grande passion était la musique, ce qui retint l’attention de l’évêque.

- Je déteste la musique vulgaire, le cherengue chengue ou la musique noire, le jazz qui, avec ses rythmes endiablés, me remue les tripes. J’ai lutté et je continuerai à lutter contre vents et marées pour la grande musique. C’est mon rêve le plus cher. J’ai essayé de former un duo, mais il m’a été impossible de trouver un pianiste capable de m’accompagner. Soit ils sont riches, et ça ne les intéresse pas parce qu’ils n’ont pas besoin de travailler, soit ils sont incompétents, et n’ont ni oreille ni le niveau suffisant.

Noces de cendres, p. 59

 

Pretusca fut la chance de don Chico, le miracle de sa vie. Grâce à elle il entra dans le royaume de la musique par la grande porte. Jamais il n’avait imaginé que les différences entre l’homme et la femme pussent s’effacer : il eut l’impression alors d’atteindre un stade où la passion et les intérêts partagés sont tels que tout semble possible : deux personnes agissant dans un même but, dans un même esprit, aimant d’un même amour l’art, la musique, la vie. Il s’imprégnait peu à peu du talent de cette femme, elle pouvait tout lui donner, il voulait tout s’approprier d’elle, lui ravir son génie, prendre la place de son image. Mais cela ne pouvait être qu’une illusion. Elle était blanche, pure comme la Vierge Marie ; elle était rayonnante comme la lune et lui, à ses côtés, croyait lui aussi incarner la perfection. Que peut espérer un homme qui vient de terres lointaines, qui est né et a grandi au milieu de cochons, de chèvres, de canards et de poules ? se demandait-il souvent conscient de sa chance.

Noces de cendres, p. 144

 

Don Chicho adorait écouter les histoires pour enfants que les servantes du voisinage racontaient lorsqu’elles se réunissaient. C’est seulement tard dans sa vie qu’il découvrit que l’histoire du cheval sans tête avait été inventée par les curés pour faire peur aux gens. La nuit, certains ecclésiastiques faisaient sortir en cachette un cheval et lui couvraient la tête d’un tissu noir pour donner l’impression qu’il avait été décapité, terrorisant ainsi les Indiens qui avaient peur de ces animaux.

A la suite de ces soirées, don Chicho comprit comment ces légendes impriment des réflexes de peur dans l’esprit des enfants. Lorsque de telles images se gravent dans leur mémoire, n’importe quel coin sombre peut provoquer chez eux l’épouvante. D’ailleurs, même les adultes vivent dans une tension, une peur permanentes, qui remontent à des temps immémoriaux.

Noces de cendres, p. 176

 

{…} Arrêtez, arrêtez ! cria-t-il nerveusement pour essayer de stopper l’hystérie des quatre camarades maoïstes.

Il s’était mis à respirer plus vite. Il venait de comprendre qu’il avait évité de justesse une tragédie. Ses paroles apaisèrent l’exaltation du groupe, plongé jusque-là dans un état d’excitation incontrôlable et dont l’esprit s’était radicalisé d’une façon inimaginable. Ils avaient failli commettre le crime le plus barbare dans la plus parfaite hystérie collective qui avait poussé des gardes rouges à ouvrir le ventre d’une femme enceinte, avant son exécution, pour en retirer l’enfant. Le fanatisme idéologique leur avait fait perdre la tête et les avait conduits à perpétrer les crimes les plus abominables.

Un latino-américain à Paris, p. 94

 

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SOMMAIRE
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par Dr Ayelevi Novivor

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