Dossier Laméca

Fonds romans Laméca

un guide de lecture en 16 auteurs caribéens

 

 

« Au lieu de se contenter de ces artifices, les lettristes prônaient une nouvelle forme d’expression. Comme ils l’énoncèrent dans l’un de leurs apophtegmes : ‘L’aventurier est celui qui suscite les aventures, pas celui à qui les aventures arrivent.’ »
La fin de la folie, p. 81

 

Présentation de l’auteur

Le monde des idées révolutionnaires coexiste avec le monde des lettres pour celui que l’on peut qualifier de virtuose de la biographie fictionnelle. Ecrivain et essayiste mexicain né à Mexico en 1968, Jorge Volpi est l’auteur de plus d’une vingtaine de romans et essais à succès. Son amour pour la littérature le prend très jeune, dès lors qu’il participe à des concours d’écriture. Plus tard, il poursuit de brillantes études en lettres mexicaines, en droit et en philologie. Dès le début de sa carrière, cet écrivain épris du sens du détail historique, reçoit plusieurs distinctions dont le prix espagnol Biblioteca Breve en 1999 pour son roman À la recherche de Klingsor ou le Prix Planeta - Casa de la America en 2003 pour son roman La tejedora de sombras. Jorge Volpi a notamment exercé les fonctions d’attaché culturel à l’ambassade du Mexique et de directeur de l’Institut du Mexique à Paris.

Présentation de l'oeuvre

Jorge Volpi s’intéresse particulièrement à l’univers de la science, et à celui des révolutions. En effet, il prend le soin de se documenter soigneusement tant sur des personnalités politiques, scientifiques, intellectuelles, historiques, que sur des périodes riches en événements, avant l’amorce d’une œuvre. Cela donne lieu à des passages d’une grande finesse, aux contours parfois philosophiques, comme c’est le cas pour A la recherche de Klingsor ou La fin de la folie. Ecrivain pouvant être qualifié d’iconoclaste, Jorge Volpi ne se reconnaît pas dans le mouvement Boom des années 1950-1970, auxquels sont associés de grands noms de la littérature hispano-américaine à l’instar du Colombien Gabriel Garcia Marquèz, de l’Argentin Julio Cortàzar, des Mexicains Carlos Fuentes, Juan Rulfo ou du Cubain Guillermo Cabrera Infante. En effet, Jorge Volpi tenait à rompre avec l’emprise irrésistible du réalisme magique pour trouver une voie plus fidèle à son expression singulière. Ainsi, il s’identifie à la génération Crack, représentée par de jeunes écrivains hispano-américains à partir des années 1990, ayant à cœur d’élargir les horizons d’une littérature trop cantonnée au folklore selon eux. Les œuvres de Volpi traduisent ce désir d’investir les trames narratives à caractère psychologique, les enquêtes, les biographies.

Un clin d’œil biographique

Parce que ces romans requièrent une phase de documentation extrêmement fouillée, Jorge Volpi courtise le genre historique ou le roman policier en donnant corps à des personnalités célèbres devenues personnages dans ses écrits, à l’instar de Jacques Lacan, Louis Althusser, Daniel Cohn-Bendit, Fidel Castro, Roland Barthes, Algirdas Julien Greimas, les prix Nobel Heisenberg, Plank et bien d’autres vedettes et satrapes d’écoles de pensée, de courants intellectuels, littéraires, scientifiques ou politiques. L’écrivain se plaît à leur prêter vie au sein de l’espace romanesque, au détour de détails ou situations comiques. Ces sommités aux prises avec les contraintes de leur quotidien, perdent dans leurs contradictions, quelque peu de leur superbe. De la théorie à la pratique, des débats sont ravivés, mais aussi des postures démentielles ou absurdes, se font jour au point où l’auteur nous donne l’impression de braquer le projecteur sur des figures tutélaires, amputées de l’aura glamour des hagiographies. Cet extrait entre Fidel Castro et le protagoniste psychanalyste Anibal Quevedo tout à fait désopilant, esquisse une vue d’ensemble du détachement et de l’humour caractéristiques du style Jorge Volpi :

« C’est la première fois ?
- …
- La première fois que vous vous soumettez à une analyse ?
- Moi, je ne me soumets à rien.
- Je veux dire…la première fois que vous consultez un analyste.
- J’espère que ce sera la dernière.
- Pourquoi ?
- Pour moi, Freud est un illusionniste. » Il s’exprime parfois d’une manière alambiquée, comme s’il désirait prouver qu’il maîtrisait bien sa langue. » La lutte entre les instincts de vie et de mort qui fait tourner le monde ? Le triomphe de la libido ? Croyez-vous que je serais où j’en suis si ce qui comptait le plus pour moi était le sexe ? Que l’on vienne un peu me dire que tout ce que j’ai fait, c’est de tenter de tuer mon père… Ou que ma fixation sur ma mère est la raison de notre triomphe… » (La fin de la folie, 235)

D’autres situations toutes aussi cocasses jalonnent ce roman. Toutefois, lorsqu’il est question de personnages anonymes, le ton peut revêtir des accents plus graves comme dans Le jardin dévasté. L’auteur privilégie une atmosphère de désespérance contrastant sensiblement avec la légèreté de La fin de la folie. Sous la forme de dialogues opaques entre un narrateur vivant au Mexique, aux Etats-Unis et en Europe, et une jeune femme Leïla, à la recherche de ses frères, seuls survivants de sa famille, Volpi aborde la guerre en Irak par le biais de liens improbables.

Un érudit mexicain

L’une des particularités des œuvres de Jorge Volpi se situe dans l’approche didactique de ses œuvres. L’auteur tranche avec le mouvement littéraire Boom caractérisé par la volonté de promouvoir la littérature hispano-américaine au risque parfois de verser pour ses auteurs les plus emblématiques, dans une surenchère exotique. Jorge Volpi ne cherche pas à se prévaloir d’une coloration mexicaine - bien que des faits d’actualité parsèment certaines de ses œuvres -, mais à rendre intelligible des périodes douloureuses de l’histoire, qu’elles aient eu cours sur le continent nord-américain, dans le monde hispanique ou en Europe. Ainsi, il sonde de manière oblique, les arcanes du pouvoir, les mouvements contestataires, les victimes collatérales. Il parvient à proposer une vision cohérente sur le plan de la fiction, des modes de pensée de décideurs influents dont l’impact retentit encore sur le monde actuel. Cette dissection clinique loin de rebuter par un caractère austère, s’enrobe d’humour et de situations cocasses, lesquelles rendent ces projets littéraires plutôt accessibles. Plutôt, car Jorge Volpi en véritable enquêteur - sa formation académique n’y est pas étrangère -, manipule des concepts et des pans précis de l’histoire qu’un lecteur averti découvrira avec plus d’aisance.

Mots clés

Mexique • Guerre • Révolution • Amérique latine • Poésie • Exil • Mai 68 • Didactisme • Boom (mouvement littéraire hispano-américain) • Crack • Philosophie • Psychanalyse • Roman policier • Essai • Enquête • Biographie

Bibliographie sélective

  • Le jardin dévasté, Paris, Seuil, 2009.
  • A la recherche de Klingsor, Points, 2001.
  • La fin de la folie, Points, 2003.

Pour aller plus loin

www.lecturalia.com/autor/455/jorge-volpi

Extraits

Son regard me foudroya : je devais m’estimer assez heureux d’être en sa présence (combien de ses fidèles ne se démenaient-ils pas en vain pour qu’il leur accordât une audience !) et ne même pas songer à imposer mes conditions. C’était lui qui écrivait l’histoire — et ou, pour mieux dire, lui la dictait— et pour aussi malin et aguerri que je me crusse, malgré tout le travail révolutionnaire que j’avais pu abattre et toutes les recommandations que j’apportais avec moi de France, je n’étais, moi, qu’un vulgaire interprète. S’il avait accepté de me consulter (simple façon de parler), s’il s’était enfin décidé à m’accorder un peu de son temps — quelques infimes briomborions de sa vie, ce qui constituait déjà une gratification imméritée, ce n’était pas en vertu de mes lauriers universitaires, encore moins de ma sympathie envers sa cause, mais de la capacité que l’on me prêtait de pouvoir peut-être lui rendre le sommeil.

La fin de la folie, p.231

 

Peu à peu, la solidarité des premiers moments dégénéra en une ambiance austère, bientôt corrompue par des doutes sur les intentions de chacun. Les plus illustres intellectuels que comptait le jury devinrent dès lors toujours plus capricieux. J’avais cru que nos discussions vespérales allaient de jour en jour devenir plus fructueuses, mais je constatai assez rapidement que les écrivains peuvent se montrer encore plus fourbes et maniaques que les hommes politiques. Sans vouloir dénigrer mes collègues, je les trouvais parfois franchement insupportables. Trop conscients de leur importance, ils se répandaient en jérémiades, au point que l’on eût dit que l’air salin combiné à la chaleur corrodait leur humilité marxiste.

« C’est chaque année la même chose, me confia mon ami cubain. C’est la première fois que je fais partie du jury, mais j’ai déjà participé à l’organisation de ces rencontres… tu ne peux pas savoir le cauchemar que c’est.

- Il faut reconnaître que l’art ne rend pas les gens meilleurs », admis-je à l’instant où un poète argentin venait nous demander d’écouter son dernier sonnet, écrit en l’honneur du Premier ministre. »

La fin de la folie, p.224

 

On raconte - mais seul Dieu distingue les illuminés des idiots - que c’est en fuyant Mossoul que Leïla a rencontré le djinn qui l’accompagne désormais.

Elle a laissé derrière elle son foyer, le sang de Fariza, le Minaret Nouri et terrassée par la chaleur, s’est égarée en chemin.

Assise à l’abri d’un auvent aux poutres noircies par le feu, elle sort de sa sacoche un gâteau et quelques dattes.

Elle entend alors un bourdonnement dans lequel elle reconnaît bientôt une plainte. Le bruit vient d’un monticule proche. Leïla creuse le sol. Ses mains vite écorchées, couvertes d’ampoules. Du sable finit par surgir un djinn en piteux état, tout vert et contusionné. Il a les bras et les jambes liés. Il respire par miracle.

Quand Leïla l’a enfin libéré, le démon du désert se dresse - pareil à une colonne - et lui pique la gorge de la pointe d’une dague.

Je te tuerai, dit-il. Les peshmergas m’ont enterré ici il y a trois jours. Le premier jour, j’ai juré de donner tout l’or du monde à celui qui me sauverait. Le deuxième jour, j’ai promis de devenir son esclave. Mais le troisième, excédé de ne voir venir personne, terrassé par la faim, j’ai décidé de tuer qui se présenterait.

C’est toi.

Atterrée, Leïla se prosterne devant le djinn et fait appel à sa clémence. Elle lui raconte comme son père et son époux ont été assassinés, lui parle des yeux de Fariza. Il ne peut la tuer, pas maintenant. Avec l’aide du Miséricordieux - loué soit-Il - il doit l’aider à retrouver ses frères.
Voyant couler ses larmes pareilles à des perles, le djinn est ému. Très bien femme, je t’accorde trois souhaits. Plus encore : je t’accompagnerai jusqu’à ce que le dernier soit réalisé. Mais n’oublie pas, à la fin je ne pourrai manquer à ma parole.

Le jardin dévasté, p. 47

 

Le terroriste ne méprise pas la vie, comme le serinent les partisans de la manière forte. Il sait qu’elle est la seule monnaie d’échange qui vaille avec son ennemi. Quand il projette un attentat sur un marché, une place, dans une école, il ne fait aucune distinction entre gens du pays et étrangers, Noirs et Blancs, Arabes et Kurdes, croyants et impies. Plus que les détenteurs de la science infuse qui le pourchassent, il démontre que nous sommes tous égaux devant la mort.
Le terrorisme est aussi un humanisme.

Le jardin dévasté, p. 51

 

J’ai erré six ans à Atlanta ; il y a là l’aéroport le plus fréquenté de la planète, le siège de CNN, et c’est le berceau de Coca-Cola, la noire ambroisie du pauvre. Une ville sans ville.

A une extrémité, la richesse blanche retranchée. Partout ailleurs, les Noirs.

L’université m’a attribué une petite maison dans les bois. Si je veux aller au cinéma le dimanche, downtown, - maquette d’un futur inhabité -, je dois marcher plus d’une heure jusqu’à la plus proche station de métro, à moins qu’une armée de miséreux ne m’en ôte l’envie.

Le jardin dévasté, p. 59

 

Leïla n’a jamais connu autre chose que le combat. Le jour où elle née, l’Abominable a donné l’ordre de baigner dans le feu sept localités ennemies (ce à quoi les Iraniens ont répliqué avec une rude symétrie). Un oncle maternel, sept cousins et plusieurs amis de son père, alors enrôlé comme médecin dans la 6e division de choc, ne sont jamais revenus chez eux. Le calme qui a suivi l’armistice — la victoire, selon les comptes rendus officiels — n’a duré qu’un instant.

Le jardin dévasté, p. 67

 

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SOMMAIRE
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par Dr Ayelevi Novivor

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