Dossier Laméca

Fonds romans Laméca

un guide de lecture en 16 auteurs caribéens

 

 

« Age refined her beauty, had streaked her hair with silver and added lines and accents to the poetry of her face - commas that made him pause at her eyes, dashes that framed her mouth. She had brows like Frida Kahlo, and lips like Chaka Khan. »
Waiting in vain, p. 5 

 

Présentation de l’auteur

Des relations amoureuses sulfureuses constituent le cœur de l’inspiration de Colin Channer, qui insuffle de la vitalité à un registre peu exploré dans la littérature caribéenne. Né en 1963 à Kingston en Jamaïque, il vit avec passion l’écriture et la musique reggae. Aux Etats-Unis où il s’est établi, il fait partie de l’équipe éditoriale du magazine africain-américain Essence. Le lien avec son pays natal est néanmoins maintenu grâce au Calabash : Festival international de littérature qu’il fonde en 2001 avec le poète Kwame Dawes, avec comme objectif de promouvoir la littérature jamaïcaine, et plus largement la littérature caribéenne anglophone, dans une atmosphère musicale, déclamatoire et poétique, propice aux échanges et à la création. Depuis ces débuts, ce festival gagne l’adhésion des amateurs de mots auxquels se joignent des écrivains de renom.

Présentation de l’œuvre

L’amour polarise toute l’attention de l’écrivain. Par ce biais, il permet à Colin Channer d’aborder le jeu parfois risqué de la séduction dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis, indissociable des aspirations intimes et politiques de ses personnages. L’auteur revendique l’influence du musicien Bob Marley dans son écriture, laquelle tente de dévoiler les facettes cachées de la sensibilité amoureuse made in West Indies. Deux de ses romans Satisfy my soul, Waiting in Vain au classement des meilleures ventes lors de leur parution en 1998 et 2000, rendent hommage par leur titre à Marley.

Une expression de la sensualité

Sur la forme, les romans de Channer, véritables odes poétiques, invitent le lecteur à une exploration intimiste des relations amoureuses dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis parmi les Africains-Américains. Le registre érotico-sensuel enveloppant ces romans, est peu courant dans la littérature caribéenne ou africaine-américaine. Ainsi, l’expression d’une sensualité non bridée s’exalte sous la plume de Colin Channer, qui magnifie le corps de la femme. Toutes les intrigues souvent tissées autour d’imbroglios amoureux, portent le sceau d’une sensualité débordante. Si le premier roman Waiting in vain ne comporte pas de marques visibles d’autocensures, les deux autres en revanche le sont. Les protagonistes d’âge, de milieux et de sexes différents à l’instar d’un prêtre blanc américain, un poète bohème noir, un enseignant africain versé dans la spiritualité, apparaissent comme des vecteurs condensés de plaisirs charnels inhibés ou secrets. Pour autant, les contradictions et tumultes qui les animent complexifient leurs cheminements amoureux. Soit, qu’ils les mettent en porte-à-faux avec leurs convictions politique, religieuse ou spirituelle, soit, qu’ils les fassent prendre conscience de la nature illusoire de leurs choix de vie, gangrenés par le mensonge et la duplicité.

Par ailleurs, le style de Channer s’orne d’une coloration musicale particulièrement intéressante dans les dialogues. Ceux-ci confèrent au récit un flot continu, une rythmique ondulatoire lente, rapide ou saccadée, avec des expressions répétitives à effet mélodieux.

De la Caraïbe à l’Afrique

Les protagonistes de Channer partagent l’ardent appel du voyage. Dans un perpétuel mouvement au gré desquels ils se laissent porter, Colin Channer met en évidence d’autres facettes de leurs personnalités se dévoilant avec plus de précision. Non loin d’une épiphanie, certains des personnages, à l’instar de Frances Carey et Carey McCullough dans Satisfy my soul, trouvent bel et bien une forme de quiétude pendant ou après des voyages dans la Caraïbe, aux Etats-Unis ou en Afrique. Traversés par des espaces et climats différents, leurs perspectives se nuancent, plutôt que ne s’opère une transformation spectaculaire. Ainsi, les histoires de vie sont marquées par l’ailleurs étranger ou familier, révélant des dimensions inouïes à l’individu. New York, Londres, Kingston, Cuba, Trinidad, Ghana en autres, influent sur Francès et Carey dans Satisfy my Soul, Estrella ou sur le père Eddie dans Passing through. Par le prisme de ces voyages, une compréhension subtile naît des rencontres et motivations des individus. La jeune Estrella de Passing through, parcourant des villes de la Caraïbe, semble à chaque fois remiser au placard ses rêves de bonheur au gré de déceptions protéiformes constantes. Survol spatio-temporel à travers les villes, les pays, les continents ou les époques, Colin Channer s’appuie sur les réalités historiques et contemporaines migratoires si caractéristiques des peuples de la Caraïbe, habitués aux déplacements contraints ou souhaités, afin d’affiner la sagacité de ses personnages quant au monde qui les entoure.

Mots clés

Jamaïque • Religion • Musique • Reggae • Sensualité • Erotisme • Caraïbe • Ghana • Etats-Unis • Histoire • Migration • Bob Marley • Amour • Relation • Sexualité • Africain-Américain • Culture

Bibliographie sélective

  • Waiting In Vain, One World/Ballantine, 1998.
  • Satisfy My Soul, One World/Ballantine, 2002.
  • Passing Through, One World/Ballantine, 2004.

Pour aller plus loin

Extraits

Like a pelican skimming across the waves her voice and low and fast above the engine, which crests and falls with the shifting gears. She has spoken of the tragedy of Fela Kuti, of the evil of the IMF, of the joys of river bathing, of the economic possibilities of converting all the island’s canefields into wind and farms, acres and acres of windmill that would generate enough electric power to drive a strong economy. We then begin to talk about the joke of independence, of how hard it is for former colonies to make it in the world, and she says that independence “is just fucking overrated. I want my man to rule me.”

Satisfy my soul, p. 75
 
 

But in nearly fifteen years on earth, she’d never seen a man who looked like her do anything that anyone considered princely, had never seen a woman of her color being treated in a way that made her think of queens.

She’d seen negritos giving women what Carlitos knew as “talks”, frilly conversation on a sheet of innuendo, seen fellows making women tremble with their bluff. But she’d never heard a loving word from a negrito, if it wasn’t in a song, or witnessed a negrito read a book, or heard about negritos who would do these things. Not even in a rumor or a tale.

Passing through, p. 53
 
 

I dare not love you as you deserve.
It is not that I don’t know how.
I do understand the language of love,
And were it a different world
I would write you poems etching you
Into the tender cliché of Negril’s palmy coast…

Waiting in Vain, p. 4
 
 

He was an alcoholic and had no children — at least none for whom he felt responsible — and didn’t know how to raise a child, least of all a girl. He would send her to school with her hair uncombed, and dress her in clothes that were sizes too big, and he never checked her homework, because, he claimed, his eyes got dim in evening light — but really because he was illiterate.

In spite of this she quickly grew to love him. He was different from any adult she’d ever known. In many ways he was a child — he had few rules for himself, and even fewer for her. That and their natural curiosity made them great friends.

She would write to her father, but never replied. When she got older, she began to wonder if he could read or write. Maybe he wanted to reply but couldn’t. But by then it didn’t matter. She had never really known him, so there was little for her to miss. Her mother, Syd told her, had died in her sleep. She didn’t know the truth till she was grown.

Waiting in Vain, p. 46
 
 

Now sitting on the bench beneath the apple trees, smelling the unctuous aroma of the fallen fruit, he lived again the feeling that washed his body when she appeared at the door in her sarong… barefoot… molasses dribbling over her toes. Oh, he thought, as the hairs on his body curled over and began to massage his skin, I miss her so. I want her now. I want her here with me, on this bench, so that I can cradle my head in her lap and have her talk to me, about anything, in any language, even if it’s one that I don’t understand. He began to inhale the smell of her hair, which was strange because there had been no memory of it until now, as he thought of holding her and rocking her in the back of the cab. As he thought about this her sweat began his lips like dew. When he had actually kissed her, he hadn’t smelled or tasted anything. Now he was getting a kind of scent like … or was it? Each time he tried to name it, it caught a breeze and flew away.

Waiting in Vain, p. 110
 
 

You can’t judge a novel by real life, Lewis. A novel is its own reality.

Waiting in Vain, p. 34

 

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SOMMAIRE
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par Dr Ayelevi Novivor

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