Dossier Laméca

Anthologie du konpa (top 15)

un guide d'écoute en 15 albums

 

14. MIZIK-MIZIK - BLACKAWOUT (Bwa Mokèt/Antilles Mizik, 2000)

"Et la lumière fut" 

L’expression black-out ou blackout, en anglais, désigne une panne de courant, une coupure de l’alimentation électrique. Une interruption qui (c’est sous-entendu) nous plonge dans le noir. Pareil dans le créole haïtien – et c’est, comme beaucoup de termes techniques, un héritage de l’occupation américaine de 1915 à 1934 - la transcription phonétique donne le mot  blackawout.

Le blackawout est monnaie courante en Haïti au tournant du millénaire, lorsque ce disque est conçu et enregistré.  C’est la centrale hydro-électrique de Péligre, dans le Plateau-Central, qui est asséchée, et on craint les pénuries du précieux carburant qui fait marcher les génératrices de courant. Avec l’idée répandue que les pires méfaits se trame dans le noir, les musiciens –quoique résilients- ne se sentent pas du tout choyés par l’EDH (la compagnie électrique nationale).

Fabrice Rouzier, le co-leader de Mizik Mizik nous explique comment ça se passait chez lui, au studio Bwa Mokèt : « Kéké Bélizaire, Erick Charles, Rolls Lainé et moi avions toujours voulu faire une chanson rien qu’avec des instruments non électrifiés sans en avoir vraiment l’occasion. Un soir d’octobre 1999, nous étions sur un bon “truc” au studio avec les amplis, les guitares et les synthés à fond quand, d’un coup sec, on s’est retrouvés plongés dans le noir. Énervés, frustrés et surtout remplis d’énergie, nous avons décidé d’utiliser une guitare acoustique, un piano droit et une bonne paire de maracas pour crier notre colère. »

Dans la pénombre, on allume les bougies… Et la musique continue, unplugged. Débranchée par nécessité !

C’est bien dans cet esprit qu’il faut comprendre l’approche, la pochette, l’esthétique sonore des morceaux  socialement engagés Sa pou’n fè ? et Blackawout. Le concept  va initier aussitôt un retour à la musique acoustique, à la simplicité volontaire et, bientôt, à l’immense vague du mouvement  Haïti Troubadours qui va envahir le pays et sa diaspora toute entière, pendant les années qui vont suivre, avec la sortie de deux albums thématiques réalisés par le duo Bélizaire et Rouzier. Évidemment, on a remplacé la basse par la manouba et troqué le synthétiseur pour un accordéon.

Il faut dire d’abord que, depuis ses débuts, Mizik-Mizik est l'un de ces meneurs  les plus représentatifs du courant ''Nouvelle génération'', paru au milieu des années 1980. C'est avec une impressionnante prestation qu'il séduit le public du grand concert ''Konkou mizik 86'' ayant pour thème ''Mwen renmen Ayiti''. C’est American Airlines qui a  lancé ce concours annuel et Éric Boucicaut, directeur local de la célèbre compagnie aérienne, offre aux musiciens haïtiens du pays et d'ailleurs, une occasion sans précédent de remporter des prix et de figurer sur une compilation sans démagogie. L'édition initiale est catalysée par le souffle d’un pays fraichement libéré de la dictature et qui découvre la démocratie. Ce jeune groupe se présente parait en conquérant et met le feu  avec ''Viv Ayiti cheri'', un refrain et électrisant.

Après un premier album Farinay, paru en1989 et sur lequel on note la partcipation de Boukman Eksperyans et de Beethova Obas, on assiste au depart des chanteurs Christophe Lafontant et Gary Didier Perez. Le tandem que forme Rouzier avec son alter ego, le guitariste et co-réalisateur Clément Béliziare (Kéké) se solidifie. Les inséparables recrutent Eric Charles puis bientôt Emmanuel Obas. Ce dernier imprime sa voix unique à des tubes comme Webè et Le n’ap fè lanmou avant de partir vivre aux États-Unis tandis. Quant à Charles qui interprète l’inoubliable Ayizan et de la chanson-titre de Blackawout, il restera titulaire du micro jusqu‘à sa mort soudaine, suite à un AVC en janvier 2016.  C’est avec une grande mélancolie qu’on le réécoute aujourd’hui qui entonne :

« San ke m’pa nannan politik

Mwen kwè mwen gen dwa pale… »

Ficelé par Bwa Mokèt Multimedias (l’entité prend son nom du quartier où habite les Rouzier, au pied de la Montagne Noire) et paru sur l’étiquette de disques Antilles Mizik de Philippe Lavelanet Blackawout demeure la preuve que la musique haïtienne a survécu au bug de l’an 2000  et qu’elle survivra toujours par le système D. Un album de facture intemporelle, créatif et plein de surprises, chargé d’une énergie contagieuse et même touché par une certaine naïveté. On y passe du troubadour avec le guitariste virtuose Toto Laraque au vrai konpa Toujou 2 Ger, pour aboutir à la salsa, au carnaval et au dub, tout en faisant un petit clin d’œil à MC Solaar (Karo).

 

MIZIK-MIZIK - Blackawout (Bwa Mokèt/Antilles Mizik, AMCD 9080, 2000)

Titres :
1 Sa pou'n fè, 2 Listwa, 3 Karo, 4 Blakawout, 5 Fanm chans, 6 Toujou 2 ger, 7 Tankou yon wa, 8 Sonia, 9 Pa gen ponyèt, 10 PGP Remix

Musiciens :
Fabrice ROUZIER, synthés, accordéons, manouba, percussions
Clément BÉLIZAIRE, guitares
Éric CHARLES, voix
Herman ABSOLU, guitare basse, chœurs
T-Polis NOZILE, guitare
Mamina JACQUET, saxophone
Wesner St-LOUIS, congas, chœurs
Marc-Bélande JACQUET, cloches, chœurs, percussion
Hans PETERS, chœurs, guitare
Don Roro LAINÉ, chœurs, cymbales
Tony VALDONIS, chœurs
Angereau BROUARD, chœurs, synthés
Clinton B.JEAN, chœurs
Toto LARAQUE, guitare, voix

Réalisation :  Fabrice ROUZIER et Clément BÉLIZAIRE
Producteur exécutif : Philippe LAVELANET
Photographies : Marc STEED, Joe DORÉ
Studio : Bwa Moket Multimédias
Ingénieurs : Fabrice ROUZIER, Khalil FRANÇOIS et Guy BEAUVIL

 

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SOMMAIRE

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par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019