Dossier Laméca

Anthologie du konpa (top 15)

un guide d'écoute en 15 albums

 

13. DJAKOUT MIZIK - MANNIGUÉTA (Z-Bo, 2003)

"Laisse-moi faire mes affaires !"

Le message ici est parfaitement clair : il n’y pas de sot métier. En français dans le texte, voici ce que chante Pouchon Duverger, le chouchou de ces dames, dans Biznis Pa’m (C’est mes affaires !). Une chanson qui salue bien bas les pauvres et l’homme du peuple, malgré la réputation de prétention, voire d’arrogance, que veulent attribuer à Djakout Mizik une partie de ses détracteurs.  Signé par le claviériste Réginald Bastien, principal parolier du groupe, le texte de ce franc succès qui débute l’album « Manniguéta » glorifie solidairement les gagnepetits. Comme le cordonnier besogneux ou le vendeur d’eau avec son bidon sur la tête, qui enverront éventuellement leurs enfants à l’école grâce à des efforts acharnés : « Moun k’ap chèche yon mwayen pou konbat lamizè. »

Pourtant les affaires marchent plutôt rondement pour Djakout et ce, depuis plusieurs années déjà. La chanson contagieuse Biznis Pa’m va devenir à l’époque un des plus énormes tubes de la planète konpa en 2003 et 2004, décuplant la popularité de l’ensemble et devenant sa signature.

D’ailleurs, de tous les groupes musicaux haïtiens nés du mouvement « Nouvelle génération », Djakout Mizik est celui qui a, sans aucun doute, fait le virage le plus surprenant. En effet, si l'on se rappelle la seconde compilation SHAP volume 2 (1989), réunissant divers groupes et artistes solo, trois chansons de la bande à Dominique Lauture y sont gravées: Pran chans, lespwa et lolèy poko leve.  Après ce début très prometteur, orienté plus vers la chanson que vers la piste de danse, c'est le silence.

Enfin, en 1995, sort un premier album « Dédoublé » (Geronimo Records) qui tranche radicalement avec le style de départ. Cette fois c’est du « konpa solide ». L'équipe a totalement fait peau neuve avec, entre autres, Gracia Delva au microphone.  Entre autres, Tony Jean-Baptiste, guitariste et violoniste de formation classique, Claude Marcelin compositeur et « grajeur » vétéran du konpa, « Roro » Rolls Lainé, un batteur explosif s’il en est et Hervé « Shaba » Anthénor, un autre show man à la voix éraillée, sont aussi la partie. Et la fête commence.

Petit à petit et d'album en album, la marque Djakout s'impose. Gracia Delva rejoint Zenglen à Miami entraînant avec lui son inséparable ami Nickenson Prud'Homme. Ce dernier est remplacé par Edzer Charlemagne « Ti Pouche » et Auguste ''Pouchon'' Duverger devient le chanteur attitré. Le volume 3, titré « Septième ciel », connait un franc succès avec Najé pou soti, chanson inspirée par une déclaration je m’en foutiste du président René Préval. Mais c'est en 2001 avec l'album « La familia » (Nouvèl jenerasyon , le label du producteur Joubert Charles) que la famille Djakout affiche encore un nouveau visage et explose littéralement. Dès lors, tout le monde en parle. Les tubes se succèdent. C'est l'euphorie. Au point où personne ne s’étonne le jour où le groupe ajoute comme suffixe à son nom la mention Number One qu’il estime due à son rang.

Certainement influencé par le groupe Phantoms de New York, ce Djakout devenu incontournable, surclasse un à un les pseudos adversaires avec lesquels il partage les salles de bals et les podiums des grands festivals comme Kreyòl-la, D-Zine, T-Vice, Zin, Zenglen, Nu-Look et Disip. Il sait le secret pour garder les danseurs collés longtemps dans la pénombre comme il peut faire monter la température et faire exploser son public au paroxysme de l’excitation sur le morceau suivant.

Cette alternance de la transe à la romance donne l’impression, à la première écoute de Manniguéta, d’un album bien inégal. La très sentimentale Guilty chantée d’abord en créole bifurque sans crier gare vers l’anglais et finit par inclure un long extrait de You’re still the one, de la chanteuse country canadienne Shania Twain. Suivent Sa’w mété et Love me girl, des titres plus chauds qui portent sur le matérialisme et les chics exigences vestimentaires de la clientèle du groupe. Mais Djakout a le tour.

Typique de la paranoïa des groupes d’Haïti, la très excitante chanson tire abonde dans la théorie du complot mais affirme, comme de coutume, que le groupe ne sera pas dissout. Force est de reconnaître que, 16 ans plus tard, cette formation au destin improbable tient encore le haut du pavé avec sa besace remplie de musique !

 

DJAKOUT - Manniguéta (Z-Bo, ZB2506-2, 2003)

Titres :
1 Biznis pa'm, 2 Guilty, 3 Sa'w mete, 4 Love me girl, 5 Amour éternel, 6 Manniguéta, 7 Abandone, 8 That money, 9 Prekosyon, 10 Carnaval 2003... Sou sou

Musiciens :
Auguste DUVERGER (Pouchon), chant lead
Louimane ABSOLU (Mamane), guitare basse
Rolls LAINÉ (Roro), batterie, chœurs
Hervé ANTHÉNOR (Shabba), congas, chœurs
Réginald BASTIEN (Ti Regi), claviers
Edzer CHARLEMAGNE, claviers, programmation des séquences, chœurs
Philippe MANFORT (Bibol), percussion, chœurs
Joseph MORTON DONALD (King D), chant
Tony JEAN-BAPTISTE, maestro, guitare
Chœurs : Charleson DUVEME, Max BLANC, Wisner CADET, Rosevelt JEAN-NOEL, Rousseau MAROLOCHEE, Walter SYDANA,  Rolls LAINÉ, Hervé ANTHÉNORArtistes Invités : Clément BÉLIZAIRE (Kéké), guitare; Duckerson FONTAINE (Didi), guitare; Charleston DUVEME (Popy), claviers; Wicked RED EYEZZ, rap

Producteur exécutif : Achille DESAMOURS (ZBO)
Ingénieur du son : Jean-Raynond LECONTE
Studios : AUDIOTEK (Haiti), 2000 Recording
Assistants : Carl-Hervé EMMANUEL, Gregory CHEN
Matriçage : Fuller Sound
Photos: Alfred JAMES

 

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SOMMAIRE

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par Ralph Boncy et Georges "Georgio" Léon-Emile

© Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2019